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Yann Vincent (ACC) : « Nous œuvrons pour la localisation d’une industrie de la batterie qui n’existe pas encore en Europe »

Ancien cadre dirigeant chez Renault et PSA, l’ingénieur de formation Yann Vincent a été nommé à l’été 2020 directeur général d’Automotive Cells Company (filiale conjointe de Stellantis et Total). Une fonction impliquant de grandes responsabilités, puisque sa mission consiste à produire d’ici 2030 assez de batteries automobiles pour tendre vers une forme d’indépendance tricolore en la matière. Entretien.

Yann Vincent, directeur général d'Automotive Cells Company.

Yann Vincent, directeur général d’Automotive Cells Company.

Alliancy. Comment décririez-vous vos objectifs à long et moyen terme au sein d’ACC ?

Nous avons la volonté de devenir un champion européen de la conception et la fabrication des cellules et des modules de batteries en Europe ; une filière et des compétences encore inexistantes sur notre territoire à ce jour. Pour ce qui est des objectifs à court terme, nous avons créé un centre de recherche et développement dans la région bordelaise destiné à à concevoir les batteries de demain. Des batteries que nous voulons performantes, sûres, et abordables. Une usine pilote est également en cours de construction à Nersac près d’Angoulême et sera opérationnelle d’ici la fin d’année. Deux Gigafactories suivront, en France et en Allemagne. Notre objectif pour 2030 étant de produire des cellules pour environ 2,5 millions de véhicules électrifiés par an.

La Chine totalise la moitié des ventes mondiales de voitures électriques et comptabilise deux-tiers des capacités mondiales de production de cellules. De son côté, l’Europe ne représente que 1 % de la production mondiale… Est-ce que vous pensez dans ce contexte arriver à produire une batterie européenne moins chère que la batterie asiatique ?

Moins chère, je ne sais pas, mais compétitive, oui ! Sur le plan énergétique, nous avons en France un avantage majeur – notamment permis par le nucléaire : le coût de l’électricité, et le fait que cette électricité soit décarbonée. Sachant que la majorité des coûts provient de l’achat de matières qui entrent dans la composition de nos batteries. Le grand défi à relever réside dans l’ingénierie et les compétences spécialisées dans ce type de technologie. L’Europe a un handicap vis-à-vis de la Chine, la pénurie de compétences restant assez marquée. L’industrie européenne de la batterie n’existe pas encore et nous devons mobiliser notre écosystème pour la rendre plus visible auprès des talents.

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Faut-il renforcer davantage les liens entre divers écosystèmes pour mener ce projet d’envergure ?

Oui, il est évident que nous n’y arriverons pas sans une union des écosystèmes européens en la matière. Les montants pour ériger ce projet vont bien au-delà de ce que peuvent se permettre les régions à elles seules. Les besoins technologiques sont beaucoup trop importants. 

De notre côté, nous commençons par construire notre écosystème autour de coopérations régionales : avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies (CEA), les universités d’Amiens et Bordeaux, mais aussi un certain nombre de start-up aux initiatives innovantes comme sur le sujet des batteries solides.

Nous bénéficions aussi d’un appui du privé par le biais de Saft (filiale de Total Energies) et Stellantis (fusion de PSA et Fiat-Chrysler) dans le développement de nos prototypes à la pointe de la technologie. Et plus récemment, Mercedes a également décidé de nous rejoindre. 

Parlons d’ailleurs de vos actionnaires… Quelles sont vos perspectives de financement actuelles et à venir ? 

Notre actionnariat est composé de trois briques : Total et Stellantis sont les premiers à avoir participé au financement du projet et demain le troisième sera Mercedes. Par ailleurs, nous bénéficions d’aides précieuses des Etats et collectivités locales français (plus de 840 millions d’euros) et allemands (440 millions d’euros).  

Le montant des aides qui nous est accordé est sans précédent : il va bien au-delà de ce qui est généralement attribué en Europe. C’est le signe du caractère stratégique de notre projet pour l’Europe et pour les Etats français et allemands.

L’Europe ne semble pas toute unifiée sur ces enjeux de relocalisation… On peut citer le partenariat entre Volkswagen avec le fabricant chinois de batteries Gotion High-Tech ou encore Renault avec Envision qui implantera une usine de batteries à Douai… 

Je ne pense pas que faire entrer des acteurs chinois en Europe soit le plus adapté pour forger une industrie européenne forte. Mais ce qui est évident, c’est que tout le monde a compris l’enjeu que représente le développement futur du marché européen du véhicule électrique.

Le projet d’Envision à Douai est semble-t-il de produire massivement des batteries pour la France et l’Europe. Ceci est clairement la preuve que les fournisseurs non européens ont compris l’intérêt de venir s’installer dans ce territoire des Hauts de France.

Par ailleurs, nous n’œuvrons pas pour la relocalisation mais la localisation d’une industrie qui n’existe pas encore en Europe. Si nous voulons que d’ici 2030 les Hauts-de-France deviennent l’un des grands pôles européens de fabrication d’accumulateurs pour voitures électriques, il faut la créer et ne pas simplement se reposer sur les chaînes d’approvisionnement asiatiques. 

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On parle souvent d’un projet de souveraineté face à l’Asie (Chine, Corée du Sud et Japon). Qu’en est-il de vos concurrents américains comme Tesla/Elon Musk ? 

Elon Musk adopte une stratégie d’intégration verticale très forte et sa volonté n’est pas seulement de fournir le secteur automobile, mais tous les autres usages comme le stockage stationnaire d’énergie par exemple. De ce point de vue, Tesla n’est pas un concurrent direct.

L’interdiction par la Commission européenne de la vente des voitures thermiques dès 2035 est-elle une bonne chose ?

La politique européenne en matière de réglementation sur le CO2 et de bannissement anticipé des véhicules thermiques tend inexorablement vers la mobilité électrique ; même si les conséquences de ces décisions n’ont pas toutes été abordées en amont. Ce qui est certain c’est que la réglementation a accéléré le tempo et les constructeurs n’ont désormais plus d’autres choix que de s’y conformer. Notre travail est justement de les accompagner dans cette transition et d’y prendre toute notre part. 

Est-il possible d’agir au niveau des deux extrémités de la chaîne : au moment de l’extraction des métaux et du recyclage des batteries ?

Nous n’avons en Europe quasiment aucun gisement de nickel ou de cobalt. Nous disposons certes d’un peu de lithium ; mais cela reste insuffisant. Ce qui est en revanche re-localisable, c’est le raffinage des matières premières. Et c’est un projet qui est pour nous grandement souhaitable. Cela pose la question de comment sécuriser notre approvisionnement et nous travaillons justement sur ce point auprès des constructeurs. 

En matière de recyclage, la responsabilité incombe aux constructeurs automobiles, qui doivent trouver des solutions pour éviter de remplir les décharges. Nous considérons ce sujet comme extrêmement important et tout l’enjeu est de faire en sorte que nos modules et cellules facilitent le travail des recycleurs. Cela passe aussi par une coopération étroite avec nos fournisseurs chimiques pour trouver des moyens de réinjecter les matières dans leur flux d’approvisionnement. 

Le recyclage est un enjeu éthique face à la raréfaction des matières premières, mais il est aussi une nécessité économique. La Commission européenne planche sur un éventuel durcissement. Mais nous n’attendrons pas l’entrée en vigueur de cette loi et comptons beaucoup sur nos laboratoires pour trouver des solutions viables.

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