Edouard Plus (Le Swave) : «Il n’y a plus de hippies de la finance»

En ce début d’année, le Swave, l’incubateur dédié aux start-up de la finance et de l’Assurtech accueille sa deuxième promotion de jeunes pousses. Au total, elles sont près d’une cinquantaine aujourd’hui hébergées à la Grande Arche de la Défense. Rencontre avec Edouard Plus, pilote du Swave, pour parler des enjeux d’innovation dans ce secteur.

Alliancy. Pour commencer, un petit rappel sur la genèse du Swave…

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Edouard Plus, directeur du Swave

Edouard Plus. Le Swave est un incubateur créé mi-2017 par Paris&Co et installé sur 2 500 mètres carrés dans la Grande Arche de la Défense. Il a été inauguré en mars dernier par le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire et le secrétaire d’Etat en charge du Numérique, Mounir Mahjoubi. Nous avons incubé notre première promotion de 22 start-up durant l’année 2018 et commençons, en ce moment, l’onboarding de notre deuxième saison. Entre les 19 jeunes pousses qui ont choisi de rester chez nous et les nouvelles que nous accueillons, on compte aujourd’hui 47 start-up au Swave, dont 6 sur le programme spécifique d’accélération « Global Markets Incubator » mené par notre équipe pour Société Générale.

Quel type de start-up accueillez-vous ?

Edouard Plus. Nous ne sommes pas un incubateur classique chez Paris&Co, qui compte en général dans ses lieux d’accueil beaucoup de structures en amorçage. A l’inverse, le Swave est focalisé sur le décollage commercial et toute l’approche réglementaire de structures ayant déjà deux ou trois ans, d’où le travail que nous faisons avec le régulateur (ACPR, AMF…). Nous les aidons à obtenir les agréments notamment avec des juristes et des avocats qui les accompagnent en ce sens… C’est pourquoi nous partons sur des projets qui ont déjà des preuves de concept (POC) ou des MVP (Minimum Viable Product), soit des produits commercialement viables… pour les faire grandir au maximum et aller au plus vite vers la scale-up.

Sur les 47 sociétés hébergées, combien sont-elles étrangères ?

Edouard Plus. On recense environ 15 % de structures étrangères au Swave, sachant que notre ambition est d’aller jusqu’à 30 %. Ce qui explique notre effort de sourcing et d’accompagnement de start-up étrangères, notamment du fait de l’échéance prochaine du Brexit. Beaucoup de structures étrangères basées à Londres se posent actuellement la question d’un pied-à-terre, de bureaux au sein de l’Union européenne… et si possible à Paris.

Quelles différences notables relevez-vous entre les promotions 1 et 2 de start-up ?

Edouard Plus. Sur les 22 start-up de la première promotion [80 dossiers de candidatures reçus, NDLR], plus d’un quart avait une très forte expertise dans le paiement (Jenji, Xaalys, Zelros…). C’est à peu près la même chose pour la nouvelle promotion. On peut donc dire que cette base sera amenée à durer avec un vrai savoir-faire à la française sur ce sujet.

La deuxième chose que l’on constate également, c’est que l’an dernier, nous avons reçu beaucoup de projets très tech, notamment autour des services de robot-conseil (conseil automatisé) dans de nombreux domaines… Cette année, à l’inverse, c’en est fini. Par contre, nous avons vu parmi la centaine de candidatures reçues et à notre grande surprise, beaucoup de projets tech dans l’Assurtech et les Regtech (pour Regulatory Technology), des start-up qui allient réglementation et nouvelles technologies et permettent ainsi de répondre plus rapidement et efficacement aux exigences liées à la conformité. Aussi, elles représentent plus d’un quart de la nouvelle promotion (Thesaurio, Scorée, Onfido… Cf liste jointe).

D’autres remarques sur les profils de start-up ?

Edouard Plus. Nous avons vu également beaucoup de candidats dans le domaine de la finance inclusive, mais cette fois avec une vraie professionnalisation des projets et des entrepreneurs. Les bonnes intentions ne suffisent plus ! Il n’y a plus de « hippies » de la finance… Nous avons vu venir de vrais entrepreneurs autour de ces problématiques avec de vrais cas d’usage. Pour ne citer que Descartes Underwriting (lire encadré), qui développe de nouveaux produits d’assurance avec, comme sous-jacent, les catastrophes naturelles.

Le taux d’occupation du Swave est de 94 %, face à un marché qui explose. Cliquez pour tweeter

L’âge des porteurs de projets évolue-t-il ?

Edouard Plus. Sur le Swave, comparativement à ce que l’on voit chez Paris&Co, l’âge moyen se situe autour de 40-42 ans. Notre public est par nature très peu junior. Beaucoup ont eu des carrières de dix, quinze ou vingt ans dans de grands groupes de l’assurance ou de la finance, mais pas seulement.

Beaucoup de structures se sont développées ces derniers mois pour accueillir des porteurs de projets dans la Fintech, l’Assurtech, la Regtech… Comment vous situez-vous par rapport à votre écosystème ?

Edouard Plus. Avec la plupart, nous cherchons la bonne façon de travailler ensemble. Nous ne sommes pas concurrents en fait, mais plutôt complémentaires. Le programme d’incubation inauguré récemment par Euratechnologies s’adresse surtout aux sociétés en amorçage ; La Place à la Bourse de Paris, qui est l’un de nos partenaires, est davantage un show-room dédié à l’événementiel dans la Fintech… Après, il existe des structures privées comme celle créée par La Maif, La Banque Postale ou AXA… Nos vrais concurrents sont d’abord à l’international, que ce soit Amsterdam dans la dynamique post-Brexit ou les Etats baltes autour de la législation… C’est pourquoi il est important qu’en France, nous travaillions tous ensemble à l’aune de ce qu’il se passe dans les autres pays.

Comment voyez-vous aujourd’hui les relations grands groupes/start-up dans les domaines que vous couvrez ?

Edouard Plus. Il est difficile de faire une réponse unique. Certains groupes, à l’image de Mastercard, montrent une agilité impressionnante dans sa capacité à travailler avec les start-up. C’est très lié à leur ADN de « connecteur »… D’autres, par contre, sentent bien que, dans un contexte de concurrence nationale et internationale très marquée, leur capacité à travailler avec des acteurs innovants sera clairement un facteur de différenciation à terme et qui leur permettra de se maintenir… La start-up amène donc de la différenciation, mais pas encore de concurrence réelle.

En quoi sont-ils chahutés alors ?

Edouard Plus. Ils le sont dans leur organisation ! Clairement. Dans les grands groupes, on voit encore différents « clochers » en matière d’innovation, car cela reste un sujet clivant en interne. Certaines directions de l’innovation de ces géants considèrent que leur groupe est très fort et capable de tout faire par lui-même. Elles restent donc encore très rétives à l’open innovation et se sentent même menacées par ce phénomène.

D’autres à l’inverse, et elles sont majoritaires, ont compris qu’il fallait nécessairement s’ouvrir et que le progrès allait passer par la collaboration externe sur les sujets qu’ils ne maîtrisent pas encore. Pour autant, leur difficulté reste à évangéliser l’ensemble des métiers et des collaborateurs… qui doivent tous arriver à se dégager du temps pour réfléchir à ces questions. Parfois, ce sont aussi les DSI qui bloquent… Au sein des grands groupes, il faut donc arriver à aligner les intérêts de tous au profit d’une évolution plus globale. C’est seulement une question de politique interne.

Globalement, diriez-vous que les grands groupes sont sur la bonne voie de l’innovation ?

Edouard Plus. Tous ont évidemment compris qu’il fallait bouger et innover, même s’ils n’ont pas tous trouvé la bonne façon d’y parvenir. Mais cette transition actuelle est complexe et demande beaucoup d’efforts à tous les niveaux. Il faut donc prioriser les sujets en termes de gouvernance, de communication interne, de temps dédié à l’innovation, de recrutements de nouveaux profils, d’organisation interne… Leur défi est d’abord de faire un pas de côté pour regarder leurs procédures et mécanismes internes de décision, qui sont parfois ubuesques.

Quelle valeur pensez-vous leur apportez ?

Edouard Plus. Mon enjeu est la transformation digitale des grands groupes… via la mise en relation que l’on effectue avec les start-up. On regarde comment les aider à décliner leurs enjeux stratégiques dans le domaine de l’innovation… et voir concrètement comment ils vont pouvoir travailler ensemble pour aboutir à un produit final en bout de parcours. Ce n’est pas seulement la réflexion, on va jusqu’à la réalisation des projets.

Est-ce aussi important ?

Edouard Plus. Tout à fait, car en France, on ne s’en sortira en termes d’innovation que si nous arrivons à travailler de façon efficace entre grands groupes et start-up, en termes d’objectifs et d’actions. Je reçois encore trop souvent de demandes de corporate qui souhaitent « visiter » le Swave… Ici, il n’y a que des bureaux, notre seul intérêt est de travailler ensemble.

Descartes Underwriting, lauréate du Challenge Fintech for Tomorrow, intègre le Swave

La start-up Descartes Underwriting, qui développe des produits d’assurance pour augmenter la résilience de nos sociétés face aux catastrophes naturelles, a été fin 2018, lauréate du Challenge Fintech for Tomorrow, lors du Climate Finance Day organisé au Palais Brongniart. Elle vient d’intégrer la 2ème promotion du Swave (Cf liste jointe). Le coup de cœur du jury est quant à lui revenu à Origins.earth, société spécialisée dans la mesure des émissions de CO2 pour aider les projets urbains à accéder à la finance carbone et climat.

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