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L’intelligence artificielle pour une gestion sanitaire plus résiliente ?

Alors que la deuxième vague de la pandémie a très vite submergé nos services hospitaliers, nous obligeant une fois encore à se confiner, beaucoup se demandent si ce deuxième épisode épidémique aurait pu être évité. Au point de remettre en cause la faculté des pouvoirs publics à anticiper et gérer les crises. Alliancy s’est penché sur la question pour savoir si la technologie, et en particulier l’intelligence artificielle, aurait pu – ou pourrait à l’avenir – aider à rendre notre système de santé plus résilient.

Le laboratoire de biotechnologies Moderna a développé la plateforme Drug Design Studio qui se sert de l'intelligence artificielle pour automatiser les étapes de production d’un vaccin / Source Youtube

Le laboratoire de biotechnologies Moderna a développé la plateforme Drug Design Studio qui se sert de l’intelligence artificielle pour automatiser les étapes de production d’un vaccin / Source Youtube

Qui aurait pu s’imaginer quelques mois plus tôt que nous serions à nouveau confinés ? À peine les vacances estivales envolées, l’arrivée d’une seconde vague commençait déjà à se faire sentir, présageant un programme aux allures familières. Faute du Gouvernement pour certains ; négligence des gestes barrières pour d’autres… Cette question laissée sans réponse nous pousse quoiqu’il en soit à aller de l’avant et, cette fois-ci, à apprendre de nos erreurs pour améliorer notre lutte contre les crises sanitaires à venir. 

Dans ce contexte, une partie des scientifiques en France a érigé l’intelligence artificielle comme un moyen de rendre cette gestion épidémique plus efficace. En témoigne l’initiative CovidIA, réunissant des médecins et chercheurs, qui appelaient dans une tribune début avril à l’utilisation de cette technologie pour permettre un « retour rapide au travail des Français ». De la meilleure prise en charge des patients à la prédiction de l’évolution de la pandémie en passant par la recherche d’un vaccin, il est ici question d’explorer les cas d’applications possibles de l’intelligence artificielle.

Toutefois, il est important de rappeler que les résultats de l’intelligence artificielle dans le domaine médical ne sont pas forcément probants dans tous les cas de figure… Un article publié le 18 novembre dernier dans la Harvard Business Review vient d’ailleurs nuancer l’imaginaire autour de ces développements, rappelant que la complexité du travail des professionnels de santé rend parfois le Machine Learning (apprentissage automatique) ou le Deep Learning (apprentissage profond) inadapté. L’IA ne peut donc que se limiter à accroître l’expertise humaine, sans la remplacer. 

Soulager le travail des professionnels de santé

Prenons le cas du personnel soignant français, qui, ayant tout juste le temps de souffler après la première vague, a été mobilisé une nouvelle fois à mesure que les services de réanimation sont redevenus saturés. Se pose alors la question de l’état psychologique et/ou physique des employés d’hôpitaux, réalisant des heures de travail difficilement soutenables sur la durée. C’est cette inquiétude que partage notamment Jean-Luc Fellahi, anesthésiste et chef de service aux Hospices civils de Lyon dans un entretien accordé à France 3 Auvergne Rhône-Alpes le 1er décembre dernier.

La technologie présente un fort potentiel pour soulager ces professionnels de santé, ne serait-ce que par l’accélération des pratiques de télémédecine depuis la crise, qui permettent de prendre en charge des patients plus rapidement et en plus grand nombre. C’est d’ailleurs ce qui a valu à Medadom une récente levée de fonds de 40 millions d’euros. La jeune start-up prévoit de mailler l’intégralité du territoire par son réseau de bornes et cabines médicales télé-connectées. 

À lire : Medadom lève 40 millions d’euros pour déployer des bornes de téléconsultation sur le territoire 

Une analyse de données plus poussée peut aussi désengorger les services d’urgence. Et de nombreux projets ont vu le jour ces derniers mois… Commençons par le groupe Thales, qui, à partir d’images de scanners thoraciques de 5 500 patients, a élaboré un système de diagnostic de la  Covid automatisé avec l’Agence de l’Innovation du ministère des Armées. Cette intelligence artificielle sera déployée dans les hôpitaux d’ici la fin de l’année. Une autre IA, mise au point cette fois par l’Institut Gustave-Roussy, devrait être effective courant 2021 pour identifier les malades qui auront besoin d’une assistance respiratoire à partir d’une analyse de scanners pulmonaires. 

Le même type de solution, appliquée à l’identification de la sévérité des lésions pulmonaires, a également été déployée dans des hôpitaux parisiens avec Siemens Healthineers. Côté start-up également, il y a de l’innovation dans l’air : la jeune pousse Milvue offre l’automatisation d’une partie des examens nécessaires aux radiographies. Plus encore, une autre start-up, initialement consacrée au développement d’algorithmes de Machine Learning pour la recherche de traitements en cancérologie, s’est penchée sur la question de la Covid-19. Owkin veut analyser des milliers de dossiers médicaux issus des établissements de santé français pour mieux prédire la sévérité des pathologies. 

Dans la même veine, la start-up Numa Health a développé un algorithme qui détecte si un patient est à risque Covid-19 sévère, à partir d’une prise de sang et un questionnaire. Etant encore en phase de tests dans des hôpitaux de la Rochelle, la solution ne devrait pas voir le jour avant la fin de l’année prochaine. Enfin, puisque l’heure est à la prédiction, la gestion vaccinale à venir est aussi dans le collimateur. La jeune entreprise Koovea a déjà proposé sa solution de transport et de conservation des vaccins Covid, nécessitant en l’occurrence d’un suivi des températures autour des moins 70 degrés Celsius.

Une prise en charge des maladies hors Covid à ne pas négliger

Pendant ce temps, les maladies hors Covid n’ont pas cessé d’exister ! Et la renonciation aux soins inquiète plusieurs professionnels de santé comme les membres du comité médical et professionnel du site Doctolib qui, le 5 novembre dernier, ont publié une tribune pour rappeler l’importance de ne pas négliger les soins habituels. Lors du premier confinement, plus d’1 Français sur 3 a renoncé à consulter son médecin. 

Pour éviter les dommages collatéraux liés à la seconde vague de coronavirus, les praticiens membres du comité médical de Doctolib ont lancé l’initiative “#SoignezVous”.

Pour éviter les dommages collatéraux liés à la seconde vague de coronavirus, les praticiens membres du comité médical de Doctolib ont lancé l’initiative “#SoignezVous”.Pour éviter les dommages collatéraux liés à la seconde vague de coronavirus, les praticiens membres du comité médical de Doctolib ont lancé l’initiative “#SoignezVous”.

L’innovation concernant les maladies “habituelles” continue donc de foisonner. L’incubateur Tech Care Paris, par exemple, a dévoilé à la mi-novembre sa 5ème promotion de start-up de la e-santé. Et quatre d’entre elles ont attiré notre attention, étant donné leur adaptation au contexte. 

Tout d’abord, Barnabe.io, qui, grâce à une solution de visioconférence permet de fluidifier le parcours des patients et leur accompagnement. Puis, Linapp, qui offre aux professionnels de santé un moyen de gérer leurs files d’attente de façon virtuelle et Pheal, qui s’appuie sur des applications, des objets connectés et des algorithmes d’IA pour permettre aux patients atteints de maladies chroniques respiratoires de suivre les signaux faibles de leur maladie à des fins de prévention. Et enfin, Traaser, une start-up ayant recours à des outils d’IA pour la collecte, la gestion et l’interprétation de données de séquençage afin de répondre au besoin d’analyse génomique.

 

Une meilleure prédiction de l’évolution de la pandémie

Pour revenir à la question de la gestion du coronavirus, il existe bel et bien un domaine qui ne pourrait se passer de la technologie pour arriver à ses fins : la prédiction de l’évolution de la pandémie. L’intelligence artificielle ici permet de pallier la difficulté à analyser une masse de données insaisissable par l’homme dans sa globalité. C’est ce que des chercheurs d’Inria ont compris, en développant un outil d’analyse pour prédire une éventuelle recrudescence épidémique. En analysant les appels reçus par l’AP-HP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris) lors du premier confinement, l’intelligence artificielle permettrait d’anticiper les cas graves et géolocaliser les clusters à venir. Les Samu de Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne utilisent déjà l’outil.

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Au niveau mondial également, le Centre international de recherche sur l’intelligence artificielle (Ircai) de l’Unesco, basé en Slovénie, a lancé en mars dernier Coronavirus Watch. La plateforme fournit de nombreuses ressources à destination des décideurs politiques, des médias et du public tels qu’un outil de visualisation 5D de l’évolution de la pandémie, des simulateurs de distanciation sociale ainsi que des mises à jour en temps réel des actualités mondiales sur le sujet. 

La contribution de l’IA à la recherche d’un traitement

Il aura fallu moins d’un an pour développer le premier vaccin pour éradiquer la Covid-19, contre sept à dix ans en temps normal. Et c’est en partie grâce à l’intelligence artificielle que ce délai a pu être écourté. Tout simplement car, encore une fois, le travail d’analyse des données nécessaires à l‘élaboration du traitement aurait pris beaucoup plus de temps sans son aide. C’est ainsi que des universités comme celle d’Harvard aux Etats-Unis ont eu recours à une IA pour dresser la liste de toutes les séquences de protéines virales qui pourraient servir à défendre notre système immunitaire. 

Les géants de la Tech ont aussi mis à contribution leur capacité de calcul. En février 2020, le fournisseur de cloud chinois Baidu a dévoilé son algorithme de prédiction développé en partenariat avec l’Université d’Etat de l’Oregon et l’Université de Rochester pour le travail de repliement des protéines. Cela permet aux chercheurs et virologues d’en savoir plus sur le coronavirus et sur sa manière de se propager. L’IA appelée Linearfold aurait calculé la structure secondaire de l’acide ribonucléique (ARN) en 27 secondes, au lieu de 5 minutes. Enfin, la filiale Deepmind de Google a aussi mis à contribution ses prédictions de l’IA AlphaFold et s’est associée aux côtés d’IBM, Amazon et Microsoft pour fournir aux autorités américaines les puissances de calculs nécessaires pour analyser de nombreuses données épidémiologiques.

Néanmoins, il est difficile à ce jour d’évaluer le rôle de l’IA dans la recherche de vaccin. Force est de constater qu’elle n’a pas été mise en avant ces derniers mois comparée à ces dernières années car la science des virus n’est pas le domaine où elle excelle. Le machine learning que l’on connaît aujourd’hui n’est pas le plus adapté pour établir des corrélations à partir de données si récentes et qui plus est, concernant un virus aussi complexe que la Covid-19.

Des vaccins efficaces à 95 % finalisés en un temps record

Certains laboratoires de recherche utilisent des algorithmes pour mettre à l’épreuve leur vaccin. C’est le cas du laboratoire Moderna qui s’est servi de sa plateforme Drug Design Studio pour automatiser les étapes de production d’un vaccin. Travaillant déjà sur ce projet en janvier, les équipes de Moderna ont pu envoyer au National Institutes of Health (NIH) leurs premiers résultats un mois plus tard. Mais la grande innovation à relever est le fait d’avoir réussi à produire un vaccin sous forme d’ARN messager en temps record. Cette nouvelle méthode vaccinale, jamais éprouvée sur l’homme, ne se base plus sur l’injection d’un antigène afin que notre système immunitaire produise des anticorps adaptés, mais sur le code génétique du virus en question. C’est grâce à ce procédé que Pfizer/BioNTech et Moderna ont pu annoncer une efficacité de leur vaccin avoisinant les 95%. 

L’IA : entre besoin de résilience et désir de souveraineté 

Il est donc possible, dans certains cas, de mieux préparer notre système de gestion sanitaire grâce à l’IA. Elle est déjà d’une grande aide dans nos hôpitaux pour surmonter les variations de nombre d’hospitalisations et de prise en charge des patients atteints par le coronavirus. 

Mais l’irruption de ce nouveau type de SRAS rappelle à quel point nos systèmes prédictifs ne sont pas encore assez armés pour anticiper les crises sanitaires à venir. En dehors de tout champ de recherche incrémentale, les pouvoirs publics se sont plutôt concentrés sur l’intensification de la récolte des données médicales pour mieux agir sur la propagation du virus. C’est pourquoi le gouvernement français a enchaîné des campagnes à répétition incitant les citoyens à télécharger l’application mobile TousAntiCovid (ex-StopCovid)

En effet, le gouvernement manque de données pour assurer une bonne gestion publique de la crise. Encore faut-il avoir l’infrastructure adaptée à l’hébergement de toutes ces data. À ce sujet, quelques projets ciblés ont émergé comme à Strasbourg avec la région Grand Est, l’Eurométropole de Strasbourg, l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Strasbourg et la Plateforme régionale d’innovation en e-santé mutualisée (PRIeSM). Ce partenariat d’acteurs a permis de lancer Inesia, une plateforme à destination de porteurs de projet qui ont besoin d’une infrastructure d’hébergement et d’outils d’analyse des données de santé. Si bien que le 3 décembre dernier, ces mêmes acteurs ont pu présenter, en lien avec leurs partenaires industriels Capgemini et Dassault Systèmes, leur outil PredictEST pour fournir au Grand Est une meilleure aide à la décision.

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Ainsi, pour que la France – et l’Europe – arrive à mieux gérer une nouvelle vague potentielle du coronavirus (ou toute autre pandémie), il est urgent d’encourager davantage la recherche et les innovations dans le domaine médical. La technologie – et en particulier l’IA – peut être une solution viable pour rendre son système de santé plus résilient en période de crise. Mais les pouvoirs publics devront sûrement régler la question de l’hébergement des données médicales pour avancer. À commencer par écarter les acteurs non-européens de la gestion de nos données de santé (comme Microsoft avec Health Data Hub) et clarifier le désir de souveraineté numérique exprimée au travers de Gaia-X.