[Les enquêtes du COP] Concevoir le management de l’innovation de demain

Les expéditions du Club Open prospective permettent aux membres d’échanger sur les thèmes qui impactent le futur des entreprises, et plus largement notre société. Cette année, Alliancy a rejoint ses explorateurs de la prospective dans leurs aventures, direction « l’innovation ». Retrouvez les enseignements issus de ces expéditions, à travers les grandes enquêtes du Club Open prospective, disponibles sur Alliancy.

Club open prospective

Rencontres du Club Open Prospective

L’innovation est indispensable pour améliorer la compétitivité des entreprises sur des marchés évolutifs, pour la croissance économique des Etats face à la concurrence internationale, comme pour accroître l’attractivité de notre territoire.

Pour autant, les innovations actuelles gagnantes au niveau mondial viennent principalement des Etats-Unis et de Chine. Et pas une seule entreprise européenne ne figure parmi les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), les Natu (Netflix, Airbnb, Tesla et Uber) ou autres BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi)… Ces groupes se partagent l’innovation dans tous les domaines et créent un cercle vertueux autour d’eux.

En conséquence, ils dominent logiquement le classement mondial des licornes, ces start-up non-cotées valorisées plus de 1 milliard de dollars. En 2017, 41 % de ces sociétés dans le monde sont américaines et 37 % chinoises.

A qui la faute ? Les dispositifs de management de l’innovation sont à bout de souffle, guidés essentiellement par de la communication (CES Las Vegas, Viva Technology…). De même, le retour de balancier de la « Start-up Mania », amorcé dès 2016 dans la Silicon Valley, arrive en Europe…. Sans oublier des stratégies de brevets obsolètes face aux nouveaux géants de l’économie et une R&D des entreprises inadaptées.

Aussi, le plus important est d’envisager l’avenir différemment. Il faut revoir notre « management de l’innovation », afin de mettre en œuvre les meilleurs dispositifs, pratiques managériales, modes de fonctionnement ou, encore, de créer les conditions optimales au développement de l’innovation. D’où cette réflexion prospective, à travers différentes enquêtes que nous publierons ces prochaines semaines, pour concevoir ce « nouveau » management de l’exécution de l’innovation et continuer à exister demain.

Pour  leur 4e rendez-vous de l’année sur le thème de l’innovation, ils étaient plus d’une quarantaine à avoir répondu à notre appel, et a ainsi débarqué en force dans les nouveaux locaux de Capgemini à Issy-les-Moulineaux, au sein même de son espace Applied Innovation Exchange (AIE) propice à la réflexion et au partage des bonnes pratiques et à l’innovation. Un lieu particulièrement en phase avec le thème de  l’atelier : 

Comment créer un écosystème efficient d’innovation
pour répondre aux nouveaux enjeux de l’entreprise ?

 

Introduction

En compagnie d’Yvane Piolet, l’animatrice pour cet atelier, et de Catherine Tanitte, la facilitatrice graphique, la journée était alors lancée par André-Benoît De Jaegere, VP Stratégie & Innovation de Capgemini, à travers une présentation globale des écosystèmes d’innovation développés en France et à l’international, et des dispositifs associés. Une vue générale et conceptuelle qui a permis de poser le sujet, mais qui resterait incomplète sans illustrations concrètes.

C’est pourquoi les interventions d’Éric Feunteun, EV Program & New Business Director Groupe Renault, autour de l’écosystème du véhicule électrique, et de Liam Buswel, directeur général et directeur associé de Fahrenheit 212, entité qui accompagne les entreprises dans la création de nouveaux produits et services, ont apporté leur expérience sur la manière dont il est possible de transformer l’innovation en impact business.

Une vision plus concrète de ce qu’est un écosystème d’innovation efficient complétée par Jean-Claude Guyard, expert en transformation digitale au sein de Capgemini qui nous a fait découvrir de l’intérieur la démarche – et les espaces dédiés – Applied Innovation Exchange du groupe. Dès lors, après la pause-déjeuner, l’après-midi pouvait être consacré aux groupes de travail collaboratifs. Objectif : définir les écosystèmes d’innovation aujourd’hui et demain. C’est cette journée inspirante, qui a suscité nombre de questions et d’échanges, et placée sous le signe de l’innovation que vous trouverez résumée dans l’enquête ci-dessous !

[Partie 1] Le contexte de l’innovation

Le contexte dans lequel s’inscrit l’innovation actuelle est marqué par trois dynamiques présentées par Dominique Guellec, Économiste à l’OCDE, expert des politiques d’innovation, auteur de L’économie de l’innovation.

Une forte digitalisation

Un phénomène qui affecte tous les secteurs de l’industrie et le marché du travail, et qui produit de nouveaux enjeux sociétaux et économiques. Quatre phénomènes majeurs découlent de ce nouveau contexte :

  • L’avènement de la Data :

Elle est devenue le principal facteur d’innovation dans l’industrie, les laboratoires, les entreprises… Posséder de la data est aujourd’hui un facteur compétitif fort. Toutes les entreprises de tous secteurs confondus investissent et capitalisent sur les données qu’elles engrangent, créant alors une nouvelle forme de concurrence.

  • La tendance à la servicisation :

Les biens manufacturés deviennent progressivement des services à l’image de l’ubérisation du marché des locations de voiture. Ce phénomène implique alors de repenser le soutien à l’innovation et de trouver des moyens de régulation du marché.

  • L’accélération de l’innovation :

Nous assistons à une baisse drastique des coûts de l’innovation incrémentale. La digitalisation favorise un rythme différent composé de cycles très courts imposant un impératif de rapidité.

  • Une innovation collaborative de plus en plus marquée :

Partage la donnée est bien plus simple que partager un prototype industriel. Les modes de communication sont aujourd’hui facilités par la digitalisation ouvrant alors la possibilité à de nouveaux acteurs comme les start-ups de s’inscrire dans ces écosystèmes d’innovation à travers des stratégies d’open-innovation, de plateformisation, d’intelligence artificielle et de data sharing.

La plateforme digitale de l’OCDE : STIP Compass

Andrès Barreneche Garcìa, analyste des Politiques à l’OCDE : « L’outil STIP Compass permet la mise en commun de données de l’OCDE et de la Commission européenne. Le site propose un système de visualisation des données destiné à les rendre intelligibles et accessibles à tous… Ces données sont rangées par thèmes, secteurs, régions géographiques, pays… » Un bel exemple de partage des savoirs !

Une globalisation de l’innovation

Les États-Unis ont aujourd’hui perdu leur hégémonie (représentant néanmoins ⅓ de la R&D mondiale) notamment à cause de la montée en puissance de la Chine (qui compte deux fois plus de chercheurs qu’en Europe). Mais force est de constater que les grandes entreprises portent toujours l’innovation :

« La recherche a toujours été une affaire de grandes entreprises parce qu’elle coûte cher, c’est risqué, c’est du long terme. On constate depuis 10 ou 20 ans un accroissement de la concentration de la recherche vers les grandes entreprises… Certes les start-ups jouent un rôle important dans l’évolution du système. Ce sont elles souvent qui annoncent les directions qui vont être prises. Mais lorsque l’on parle véritablement des réalisations qui impactent les marchés, c’est une affaire de grandes entreprises », explique Dominique Guellec.

Les écosystèmes d’innovation et la Recherche Publique

Au total, 500 milliards de dollars par an sont alloués à l’investissement public dans la recherche. ⅓ de la R&D est dédiée au secteur public et ⅔ aux entreprises. Des chiffres en partie liés à un accroissement des crédits d’impôt à la recherche. En France par exemple, le soutien fiscal à l’innovation est un des plus généreux au monde.

En savoir plus sur le Crédit Impôt Recherche

Nous assistons alors à un changement de paradigme passant de la valorisation à celui de la co-création de l’innovation : « La valorisation c’est : je suis riche en savoirs et je vais essayer d’en faire bénéficier les autres. La co-création, c’est : je suis riche en compétences et en savoirs mais ce que j’ai n’est pas forcément utile à qui que ce soit. Par contre, je vais co-créer avec des agents, des entreprises, des ONG, etc. Et je peux co-créer des innovations en fonction de leurs besoins. » Dans ce cas, la Recherche publique est censée bénéficier à la société et aux entreprises. Ce nouveau contexte montre que les gouvernements et les organismes publics sont aussi capables d’innover.

[Partie 2] Transformer les megabits en bonheur

La défiance envers les nouvelles technologies n’a jamais été aussi importante alors même que leur nombre n’a jamais été aussi important. En conséquence, le taux mondial d’insatisfaction n’a, quant à lui, jamais été aussi élevé ! Pourquoi un tel décalage ? Tout d’abord, du fait d’un contexte économique global « morose » et des nombreuses transformations en cours qui affectent la société. Augmentation de la population forte urbanisation, réchauffement climatique, globalisation des échanges, révolution technologique… Les individus comme les collaborateurs perdent leurs repères et font face à un avenir incertain :

  • Société en phase de transition écologique, énergétique, digitale, économique, humaniste
  • Augmentation des risques : crise financière, alerte rouge sur la cybercriminalité, conflits et terrorisme, protectionnisme, stagnation et décroissance, éclatement de l’Europe

Dans ce contexte, la transition numérique n’est pas si facile. Dès lors que sa valeur n’est pas prouvée, la technologie n’est pas forcément perçue comme une innovation à l’image du compteur électrique Linky qui soulève de nombreuses réticences. Résultat : le développement technologique doit tendre vers une amélioration notable de la vie à l’image du mouvement Innovation for a better life. L’heure est au human washing !

« Si vous partez des technologies en leur cherchant des applications, c’est sans espoir… Il faut partir des individus, de leur vie, de leurs attentes, et mettre à leur service des solutions fondées sur la meilleure combinaison technologique possible. » – Steve Jobs, fondateur d’Apple

Les entreprises ont la plupart du temps une vision trop techno-centrée très éloignée du réel. Elles doivent revenir à une approche humaniste de l’innovation. Or la vie réelle n’est ni dans le cloud, ni dans la data. En témoignent les préoccupations des Français.es, à savoir être à l’abri des besoins, être bien entouré avec des proches, assurer l’avenir de ses enfants, habiter un logement de rêve ou bien encore vivre une belle histoire d’amour.

« La véritable innovation, c’est le retour à la vie réelle. »

Le progrès doit tendre vers une innovation globale, totale, collaborative et réorientée vers le développement humain et durable. Comment y parvenir ? En adoptant 7 grands principes pour structurer l’innovation en entreprise :

  1. Une stratégie intégrée d’innovation pour que toute l’entreprise se renouvèle.
  2. Une innovation globale pour passer du made in au made with.
  3. Une innovation totale et partagée à travers une innovation participative ouverte à tous en interne et à l’extérieur de l’entreprise.
  4. Une innovation humaniste centrée sur l’humain.
  5. Une innovation inclusive à l’image des Espaces Orange en Afrique.
  6. Une accélération de la transition digitale grâce aux outils.
  7. Le design togetheret la coopération avec la société civile.

Une innovation plus inclusive, participative, humaniste… indispensable pour réussir la transformation digitale. En effet, 65 % des employés des grandes entreprises à l’échelle mondiale se sentent désengagés ! L’innovation doit les replacer au centre. Une prise de conscience synonyme d’une prise de confiance. L’exemple du Dreamliner de Boeing est probant : l’avion a été conçu par des passagers pour des passagers. La coconception vous permet de prendre le lead de manière quasi systématique !

« Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous. »  Aristote, philosophe grec, 384-322 av. J.-C.

 

[Partie 3] Quid de l’innovation en France ?

Au sein de ce contexte international, on observe bien évidemment certaines différences selon les pays. Ainsi, si la France se révèle particulièrement à la pointe des technologies, elle peine à réussir leur transfert en entreprise.

En conséquence, la transition digitale coûte 4 fois plus cher en France qu’en Allemagne ou au Royaume Uni qui ne sont pourtant pas plus avancés que nous. La raison : un sous-investissement matériel. En France, nous concevons mais nous ne produisons pas !

« Pourtant des exemples d’entreprises qui mènent leur transition numérique face aux pure players existent : Fnac Darty, La Redoute, Accorhôtels, G7… Donc oui, il est possible de réussir en investissant dans les bons outils, analyse Marc Giget. L’exemple de La Redoute est certainement le plus parlant. Valorisé il y a quelques années à 1 euro, la marque présente aujourd’hui une valorisation de 2 milliards d’euros ! Un renouveau spectaculaire axé sur l’ouverture et la coopération, mais aussi un investissement de quelque 420 millions d’euros dans le numérique. La Redoute possède aujourd’hui le software et la plateforme les plus modernes du monde. Elle a su se renouveler en achetant une valeur technologique ! »

Mais de manière générale, l’Europe tout entière peine à prendre le virage du numérique :

« L’une des raisons pour lesquelles l’Europe a eu tant de mal à prendre le virage, c’est qu’elle est confrontée à la difficulté de se doter de grandes entreprises mondiales notamment dans les domaines de haute technologie. Une réelle intégration européenne dans ce domaine demeure absente. Il n’y a pas de marché intégré des capitaux et des produits qui permettrait de financer des start-ups souhaitant monter en échelle », confirme Dominique Guellec.

 [Le chiffre clé]

Si la France est une terre de startups – elle en compte plus de 10 000 en 2018 –, elle ne recense que 205 scale-ups, soit à peine plus de 2 % des startups, et que 3 licornes, ces startups valorisées à plus d’un milliard de dollars : Criteo, ventre-privée.com et BlablacCar. Là où l’Europe en compte 30 (Royaume Uni en tête) et les États-Unis et la Chine respectivement 125 et 77. À noter également que 44 % des start-ups françaises ferment leurs portes dans les 3 ans et la moitié dans les 5 ans après leur création.

[Cas d’usage]

Les initiatives de BNP Paribas Cardif pour encourager l’innovation

« Digitalisation, science des données, expérience utilisateur… Il est important de savoir ce que signifie ces mots et quels sont leurs impacts sur nos métiers. Nous avons donc lancé l’année dernière le programme Skillup qui permet de former nos collaborateurs et d’éviter de créer un fossé de compétences entre celles qui existent dans l’entreprise et celles dont on a besoin », explique Nathalie Doré, directrice du Digital et de l’accélération chez BNP Paribas Cardif.

BNP Paribas Cardif a lancé deux nouveaux projets en juin dernier pour soutenir l’innovation :

Skillup, un programme qui soutient la montée en compétences des collaborateurs sur les nouvelles compétences autour du digital et de la data ; et Launchpad, un programme d’accompagnement des innovations qui réduit les obstacles du processus d’innovation et met à disposition un socle d’outils, de méthodes et d’experts. La sélection des projets innovants est priorisée en fonction de son impact sur la transformation de l’entreprise et sur la capacité du projet à être multi-pays (re-use). Le sourcing du projet peut alors venir de l’équipe innovation (top down) mais à la condition de trouver un 1er pays pilote partant pour co-créer l’innovation soit elle vient des pays. Grâce à cette démarche à la fois top down et bottom up, BNP Paribas Cardif a bénéficié notamment d’avancées dans les API en Amérique latine et d’utilisation des médiaux sociaux pour gérer les sinistres en Asie.

L’équipe Digital et Accélération, volontairement mixte entre profils métiers et tech, a créé un site qui recense les projets innovants et permet à chaque pays d’ajouter le sien (principe de User Generated Content). Enfin, une animation est assurée par l’équipe en centrale pour reconnaître l’innovation et favoriser l’essaimage. « Nous avons adopté un principe simple de soutien à l’innovation : Explore → Make → Grow.  J’ai une idée, je la matérialise et je la déploie. Si l’innovation emploie des “méthodes agiles” (agile, lean-startup, maîtrise du risque…), elle est avant tout un état d’esprit et une capacité à se remettre en cause. »

Pour aller plus loin :

* Marc Giget, Les nouvelles stratégies d’innovation 2018-2030 – Vision prospective 2030, European Institute for Creative Strategies and Innovation

Dominique Guelec, L’économie de l’innovation, CERDI, 1999