Les recettes de Michelin pour acculturer ses métiers à la Data

Les usages de la data se multiplient au sein de Michelin. Pour impliquer les métiers dans la transformation Data, l’entreprise mise sur le concret et la valeur métier comme avec le NLP et la data visualisation. Explications de Jean-François Deldon, Intrapreneur & Data leader chez Michelin.

Alliancy. Quels sont les principaux usages métier de la donnée chez Michelin ?

FactoLAB Jean-François Deldon. Nous avons démarré historiquement assez tôt dans certains domaines comme l’industrie avec le digital manufacturing. Nous comptons ainsi de nombreux cas d’usage, dont la maintenance prédictive et l’analyse de la qualité. La supply a développé assez rapidement des applications. C’est un champ dans lequel la valeur est souvent la plus visible. Il en va de même dans le marketing B2C.

A présent se développent les usages autour de la connaissance du consommateur et du client. Sur la partie R&D, les évolutions sont notables également. Nous nous efforçons par exemple de tirer profit des données dont nous disposons déjà pour accélérer notre temps de conception et d’innovation.

L’industrie a été votre point de départ, pour quelles raisons ?

Jean-François Deldon. L’industrie est un très bon cadre pour la digitalisation et l’analyse de données. En effet, dès qu’on place un nouveau capteur sur une machine, ce dernier va commencer à créer des milliers de données très rapidement. Et ainsi permettre, en couplant ces données avec les connaissances et l’expérience des agents de l’usine de réaliser de la maintenance prédictive ou encore de réduire le taux de perte matière.

Par ailleurs, l’industrie est confrontée à des difficultés de recrutement. Embarquer plus de digital dans l’industrie est ainsi un facteur d’attractivité pour nos métiers et un moyen de moderniser et améliorer le quotidien de nos employés.

Bannière - Guide Alliancy - Defis d'un Nouveau Monde - Entreprise Connectée - Verizon En tant que data leader pour le contrôle interne, qualité et customer centricity, en quoi consistait votre rôle ?

Jean-François Deldon. Il s’agissait de contrôler la transformation digitale et data sur les plans opérationnel, stratégique et culturel pour ces entités qui représentent plusieurs milliers de personnes (dont une grande partie en industrie) sur les 110.000 que compte Michelin.

De manière très opérationnelle, mon poste consistait à gérer les PoC, les pilotes, les projets et les produits data en préparation, mais aussi à réfléchir avec tous les acteurs à la stratégie Data pour demain. Et pour y parvenir, il était indispensable d’agir sur la culture.

Comment développe-t-on ce volet culture ?

Jean-François Deldon. J’ai pris le parti de faire venir des intervenants, de proposer de la gamification et aussi de faire participer les acteurs. Cette participation a pris la forme de nombreux ateliers et notamment d’idéation en rassemblant les personnes de la data et des métiers. Suite à ces projets, j’ai été nommé en complément leader sur le Natural Language Processing (NLP).

Quels travaux menez-vous sur le NLP ?

Jean-François Deldon. Nous avons lancé de multiples initiatives en 2021. Le but de ce poste est d’expliquer à n’importe qui au sein de l’entreprise ce qu’est le NLP et comment il peut apporter de la valeur aux métiers.  

L’année dernière, nous avons par exemple organisé une conférence digitale pour présenter les différents cas d’usage du NLP dont nous disposons en interne. Nous avons également présenté ce qui se faisait en externe. Nous avons par ailleurs lancé un appel à cas d’usage au niveau groupe en nous appuyant sur des relais en interne, des membres de la communauté NLP, que nous appelons Guilde. Ils nous permettent de relayer ces informations et de recueillir les cas d’usage auprès des entités.

Votre tâche revient donc à acculturer les métiers ?

Jean-François Deldon. C’est d’apporter les briques nécessaires pour permettre au métier de comprendre ce qu’est la data et ce qu’il peut en faire au travers d’exemples concrets. D’expérience, si ce n’est pas concret, le métier se noie rapidement et ne poursuivra pas. 

Justement, quelles sont les actions qui présentent le plus d’efficacité pour les engager ?

Jean-François Deldon. Les workshops au cours desquels nous faisions de petites présentations de cas d’usage assez concrets. Suivait ensuite une séance d’idéation de deux heures environ visant à identifier pour les participants des cas d’usage pertinents dans leur domaine en partant de ceux que nous avions présentés.

A l’issue de cette phase d’idéation, nous sélectionnons quelques cas d’usage, qui seront développés au cours d’une journée de hackathon et déboucheront sur un prototype. Le résultat n’est pas nécessairement l’élaboration d’un produit très poussé sur la data. En revanche, cela contribue à une véritable prise de conscience.

Pouvez-vous l’illustrer par un exemple ?

Jean-François Deldon. En qualité, le métier a souhaité utiliser de l’analyse de texte pour obtenir une proposition de catégorisation automatiquement de critères qualité apparaissant sur des machines, une tâche qui manuellement demande de passer plusieurs heures à chaque fois à consulter l’historique des cas précédents.

Le métier a donc travaillé sur ces données d’historique avec un data scientist. Cette expérimentation a permis de prendre conscience que la donnée devait être mieux structurée pour permettre l’analyse. Néanmoins, de premiers résultats étaient envisageables. Et de l’analyse de données et de l’IA seront applicables à terme après un travail sur un référentiel au niveau des usines.    

A quelle autre démarche avez-vous eu recours pour développer l’acculturation ?

Jean-François Deldon. Je considère que les plateformes de datavisualisation sont un moyen idéal pour entrer dans le monde de la data. Nous nous sommes donc appuyés sur les deux plateformes dont nous disposons dans ce domaine, MicroStrategy et PowerBI.

Une série de formations à ces outils, et plus particulièrement PowerBI, plus adapté aux débutants, a été lancée à destination de certaines fonctions, avec des résultats encourageants. Pendant le confinement, nous l’avons ouvert à tous en visioconférence. Cela a été le début de la création d’une communauté au sein de laquelle les membres peuvent s’entraider directement.

Quels sont les usages que cela a permis de faire émerger ? 

Jean-François Deldon. La plupart des utilisateurs ont commencé à regrouper les fichiers Excel qu’ils utilisaient pour les traiter de manière unifiée au sein de PowerBI. L’outil leur a ainsi par exemple permis d’intégrer de l’automatisation.

Ils ont également développé des rapports qu’ils doivent consulter ou mettre à jour assez fréquemment. Le gain est assez immédiat puisqu’ils s’affranchissent de la nécessité de faire des copier-coller et de retraiter des cellules.

Tout l’enjeu est d’ainsi démontrer que PowerBI est plus performant qu’un Excel. Et petit à petit, on peut aller jusqu’à brancher les données du datalake et plusieurs sources de données du datalake pour aller vers un usage plus complet et instantané des données de l’entreprise. Tous les utilisateurs n’en sont pas à cette phase de maturité, mais c’est le cas pour plusieurs projets.  

Quels en sont les bénéfices ?

Jean-François Deldon. Tout l’intérêt réside dans l’actualisation automatique, la réduction voire la suppression des tâches manuelles et la possibilité de combiner des sources de données. Sur l’analyse de la voix du client, nous avons ainsi pu mêler assez facilement des identifiants client du CRM à des questionnaires de satisfaction client stockés dans un autre outil. Le résultat, c’est la possibilité de faire le lien entre plusieurs bases pour améliorer notre connaissance client.

Développer les usages et la culture, c’est aussi rendre la donnée accessible. Comment avez-vous rapproché les données des utilisateurs ?

Jean-François Deldon. Un travail conséquent a été mené sur les grandes sources de données afin de les incorporer dans les datalakes. Cela concerne par exemple des données CRM et ERP. C’est un chantier qui demande du temps, notamment pour standardiser, et qui n’est pas encore terminé. Il a donc fallu prioriser ce qui était mis à disposition. Mais l’objectif était bien de mettre à disposition le plus de données possible.

Cela, c’est pour l’historique. Pour les nouveaux projets, nous essayons d’aller directement vers des solutions qui facilitent la mise à disposition des données. Pour mener des sondages auprès des clients, nous exploitons un nouvel outil. L’API par défaut permet de ramener les données dans le datalake et de les rendre accessibles.

Mais stocker dans le datalake ne suffit pas. Il faut aussi que les données puissent être trouvées plus facilement. Pour cela, nous nous appuyons sur un réseau de data owners maîtrisant chacun un domaine métier spécifique, ainsi que sur un data catalogue. Le catalogue est accessible à tous même s’il est principalement consulté et mis à jour par les data owner et data stewards de l’entreprise.   

Quelles autres pistes explorez-vous ?

Jean-François Deldon. Il importe que les utilisateurs réalisent la valeur de données qu’ils utilisent, mais qui ne sont pas nécessairement stockées sur un CRM, un ERP ou un datalake. L’enjeu, c’est la capacité à identifier la pertinence de partager cette information plus largement et comment.

Nous avons encore du travail à mener dans ce domaine. Définir comment se partager proprement et simplement les données est un chantier majeur pour le futur.

Quelles sont vos ambitions en 2022 sur la diffusion de la culture data chez Michelin ? Et comment mesurer les progrès ?

Jean-François Deldon. Le premier indicateur, notamment pour la partie NLP, sera le taux de couverture des métiers en termes de cas d’usage data remontés. Pour transformer l’entreprise, nous ne devons laisser personne sur le bord de la route. La diffusion doit se faire le plus largement possible. Le taux de couverture est donc important.

Nous suivons également sur plusieurs projets l’utilisation des outils de datavisualisation. Nous pouvons le mesurer assez facilement, ce qui n’était pas le cas avec Excel. Pour acculturer, nous mettons aussi en place des actions de formation. Nous avons ainsi utilisé les ressources de l’Institut Montaigne sur la data et l’IA. Des quizz sur une plateforme digitale interne sont aussi diffusés.

L’acculturation passe-t-elle aussi par l’intégration de compétences dans les fiches de poste, en collaboration avec les RH ?

Jean-François Deldon. C’est en cours. Un certain nombre de compétences figurent déjà dans les fiches de poste liées à la data, comme ‘exploiter et visualiser les données’, avec des niveaux allant de 1 à 5. Sur tous les postes data, toutes ces compétences y figurent, avec le niveau attendu.

Sur beaucoup d’autres postes, comme en qualité ou supply chain et même sans être estampillés data, il y a une intégration progressive de ces compétences data compte tenu de la part croissante des usages des données.

Retrouvez le témoignage de Jean-François Deldon lors de l’émission Insights Data