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Nicolas Pauthier (L’Oréal) « Nous avons créé une équipe employee experience sous la double impulsion DRH-DSI »

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Nicolas Pauthier est vice-président RH, digital de L’Oréal. Il décrit la stratégie du groupe en matière d’environnement numérique de travail et les points d’attention notables portés en matière d’outils et de relation DRH-DSI.

Alliancy. Comment résumer la stratégie de L’Oréal au sujet de l’environnement numérique de travail ?

Nicolas Pauthier le vice-président RH, digital de L'Oréal

Nicolas Pauthier le vice-président RH, digital de L’Oréal

Nicolas Pauthier. Le terme est très vaste et peut correspondre à des réalités très différentes selon les entreprises. Pour autant, le sujet est très lié aux enjeux de transformation digitale globaux de notre groupe. Sur ce point en effet, le défi des compétences, très important, va de pair avec le levier de l’environnement de travail lui-même. Notre ambition est d’offrir aux collaborateurs la possibilité de faire leur travail le mieux possible, en termes de connexion, d’accès aux outils mais aussi de sécurité.

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Pour autant, nous sommes attentifs à ce que les outils numériques soient un moyen et non une finalité. L’idée est donc d’avoir une approche organique, profonde, plutôt que de faire de la transformation forcée qui va demander des centaines d’heures de formation. Cette approche s’appuie sur deux fondamentaux : l’ergonomie des outils d’un côté, et, de l’autre, le fait que l’on réponde vraiment à des besoins précis du travail au quotidien. Cela demande d’aller à la rencontre des collaborateurs et d’avoir un réseau de proximité ad hoc qui permette à la fois de favoriser la compréhension des usages et en retour l’assimilation des nouveautés.

Quelles ont été les étapes clés pour avancer ?

Nicolas Pauthier. En 2015, nous avons créé une équipe employee experience sous la double impulsion du DRH groupe et du DSI groupe. C’était un signe fort qui permettait de signifier que l’environnement de travail était décisif pour nous transformer. Cette incarnation a accéléré les projets. Bien entendu, la crise sanitaire de 2020 a été une autre accélération. Le lancement de Teams en 2019 avait permis d’unifier et de simplifier les usages plutôt que de les multiplier. Nous étions donc prêts lorsque le confinement a débuté. Tous les aspects RH de notre activité ont d’ailleurs pu également se poursuivre, à l’image des recrutements, de l’intégration de nouveaux collaborateurs à distance, et aussi des débuts de stages. Nous voulions respecter les engagements du groupe en la matière. Il a fallu faire évoluer la logistique physique pour livrer les équipements et accueillir différemment les nouveaux venus dans leur environnement de travail numérique. Ces dispositions n’ont pas vocation à remplacer l’intégration « physique », mais les outils numériques actuels offrent bien la possibilité de renforcer l’animation, de fédérer le collectif, y compris dans des périodes complexes. Nous avons pu organiser des événements regroupant des milliers de collaborateurs en direct et assurer des pratiques collectives globales à l’échelle d’un groupe. Nous comptons dorénavant capitaliser sur ces pratiques.

Nicolas Pauthier (vice-président RH, digital de L'Oréal) : « Il faut une forte capacité de test and learn chez les DSI comme les DRH pour s’adapter aux surprises et aux résistances. » Cliquez pour tweeter

Quels sont les sujets sur lesquels vous voyez encore des défis importants à relever ?

Carnet d'expériences DRH, DSI et Digital Workspace Nicolas Pauthier. Il y a deux écueils notables. D’abord, il ne faut pas tomber dans le piège de la construction d’un environnement numérique de travail qui « exclut ». Il faut pouvoir embarquer tout le monde : tout âge, tout métier. L’environnement « physique » de travail est souvent un facteur d’égalité entre les collaborateurs. Le numérique peut être, lui, créateur d’inégalités, selon l’aptitude de chacun à maîtriser les outils de travail numérique. C’est un défi que le groupe ne peut ignorer. Le second écueil est qu’il existe aussi certains aspects du travail qui sont « téléfragiles » plutôt que « télérobustes ». Piloter un projet ou avancer sur de la production peut être facilité par le numérique, mais les phases d’innovation et de créativité peuvent être fragilisées. Notre entreprise a l’ambition d’être une aventure humaine et collective, ce qui nécessite de créer des liens forts entre les gens, y compris à un niveau informel. Où est donc la cafétéria de l’environnement de travail numérique ?

Avez-vous des attentes particulières vis-à-vis des outils eux-mêmes, quels qu’ils soient ?

Nicolas Pauthier. Par rapport à ces défis, il faut remettre du collectif partout où cela est possible. Du point de vue des collaborateurs ce sera toujours un avantage important. De plus en plus d’outils prennent cela en compte, avec des features collectives qui sont nées de l’expérience du confinement. L’usage a rejoint progressivement les besoins et la barrière qui séparait des segments d’outils entre eux (collaboration, réunions à distance…) disparaît. En parallèle, je constate que l’équipe digitale, qui fonctionne en mode agile sur un certain nombre de projets, arrive assez vite aux limites des possibilités offertes par un environnement de travail numérique. Il est difficile de recréer l’énergie de l’équipe, des rites agiles, de la collaboration à distance… Certaines étapes des méthodologies innovantes que nous avons mises en place ces dernières années passent mal au filtre du numérique pour le moment.

Comment se déroule le dialogue avec la DSI sur de tels sujets ?

Nicolas Pauthier. Il faut bien avoir conscience que le sujet de l’environnement de travail numérique est vraiment au croisement des deux mondes. Notre rôle RH est de veiller à ce que la DSI et les équipes IT ne tombent pas dans le piège qui serait de raisonner par l’outil plutôt que par l’usage collaborateur. Il faut aller au contact des gens, s’asseoir avec eux, comprendre leurs besoins au quotidien. C’est la mission de la DRH de créer cette possibilité. Mais à partir de là, la DSI est garante de la clarté du chemin pris au niveau technologique : pas de multiplication des outils, apport en termes de prise en main et de simplification… Pour que le dialogue soit efficace, il faut une vraie conviction de la DSI sur ces sujets. Et soyons réalistes : la bonne expérience collaborateur ne se décrétera jamais arbitrairement. Il faut donc une forte capacité de test and learn chez les DSI comme les DRH, pour s’adapter aux surprises et aux résistances. C’est pour cela que la dimension du change management est prise en charge conjointement et est indispensable à la réussite de ces projets.

Comment évaluez-vous le succès de vos choix et de cette stratégie globale vis-à-vis des collaborateurs ?

Nicolas Pauthier. Nous menons des enquêtes évidemment. Il ne faut pas se priver de poser des questions « quantitatives » mais il est également nécessaire de pouvoir ouvrir la discussion et de mener des focus groupe par grands métiers sur leurs usages spécifiques. C’est un enjeu permanent car il n’y a pas de ligne d’arrivée sur l’environnement de travail : c’est une mécanique qui s’affine en permanence. Nous courrons un marathon, pas un sprint ! La DRH doit se doter d’outils et méthodes pour assurer cette transformation sans cesse renouvelée et communiquer efficacement dessus. Des partis pris simples peuvent aider : nous avons des « IT Days » qui sont des moments d’échanges privilégiés, mais nous envoyons aussi, tous les mardis, par e-mail, une astuce pratique sur l’environnement de travail numérique. Dans notre dernière enquête globale, nous avons vu que le caractère très opérationnel de ce type de communication était extrêmement apprécié. Pour assurer le suivi, nous avons besoin de personnes avec des compétences mixtes, RH et technique. Ces profils rares pèsent beaucoup dans l’efficacité du change management et de son évaluation. Peu importe si au final ces personnes sont rattachées côté DRH ou DSI. C’est la qualité intrinsèque de ces profils qui va faire la différence.