Valoriser les données par l’échange : des gains, mais un chantier encore souvent expérimental

La valorisation des données est une priorité des organisations, mais les moyens d’y parvenir sont multiples. Le partage et l’échange au sein d’écosystèmes constituent un axe de cette valorisation, mais à condition de cocher des prérequis, dont le modèle économique. Témoignages de valorisateurs de données dans l’aéroportuaire et l’automobile.

Valoriser les données par léchangeEn 2021 déjà, 84% des entreprises sondées par Odoxa jugeaient positif, voire très positif (25%), l’impact des projets de valorisation sur leur organisation. Des actifs à valoriser, elles n’en manquent pas.

Au contraire, la Data Sphère, comme la qualifie IDC, ne cesse de croître. Le volume de données mondial généré explose. Il était de 33 zettaoctets en 2018. En 2025, il atteindra 175 zettaoctets. A défaut d’être réellement exploité, ce patrimoine représente avant tout un coût.

Echange et partage au service de la valorisation

La Commission européenne le rappelait dans le cadre du Data Act, les données restent un potentiel inexploité. A titre d’exemple, 80% des données industrielles ne sont jamais utilisées. L’Europe souhaite encourager, par un cadre réglementaire favorable, la valorisation.

La Commission voit dans le Data Act un moyen de générer 270 milliards d’euros de PIB supplémentaire d’ici 2028. C’est l’équivalent de 2% du PIB. Pour le Forum Économique Mondial, les bénéfices de la circulation de données entre les Etats sont déjà tangibles – et par conséquent, elle est “essentielle”.

“L’accès aux données et leur partage au-delà des frontières peuvent générer des avantages sociaux et économiques pouvant aller jusqu’à 2,5% du produit intérieur brut”, évalue le WEF, qui promeut dans un rapport paru en 2023 le passage de “la fragmentation à la coordination” sur ce sujet de la circulation des données.

La fragmentation est notamment une réalité dans le secteur aéroportuaire. Au travers de la plateforme d’échange Hub One DataTrust, le groupe ADP et sa filiale Hub One ambitionnent de faire émerger cette coordination et de la structurer.

“Au regard des business models que nous avons pu construire, 2% d’augmentation de la valeur, cela nous semble un objectif atteignable. A quel rythme, c’est une autre question”, réagit son directeur général, Jean-Sebastien Mackiewicz. Et la valorisation, ajoute-t-il, ce n’est pas seulement la monétisation des échanges de données.

“Les finalités résident aussi dans l’amélioration de certains processus ou l’accélération de la digitalisation. Dans le monde aéroportuaire, nous tablons ainsi sur des gains indirects sur l’amélioration de l’efficacité des opérations. Ils ne sont pas simples à chiffrer, mais ces gains sont réels et plutôt rapides.”

Faciliter la circulation de la Data pour la valoriser

Dans le secteur de la mobilité et de l’automobile, ces retombées, Mobivia a déjà pu les mesurer, au travers de gains directs dans un premier temps. Le propriétaire des enseignes Norauto et Midas a depuis fait évoluer son modèle économique sur la Data en créant sa propre place de marché, Afteriize.

“La donnée a une valeur et il faut pour cela pouvoir l’échanger et créer un écosystème facilitant sa circulation entre différentes entreprises”, témoigne Ludovic Codeluppi, Business Data Lead de la plateforme.

Son parcours dans ce domaine, Mobivia l’a entamé 4 ans plus tôt. Ses fournisseurs s’intéressaient à la connaissance collectée, notamment client, par ses enseignes. Le groupe a ainsi identifié un cas d’usage industriel, mis en œuvre via un PoC, puis un PoV (Ndlr : Proof of Value), et défini des Data Products.

La marketplace repose sur la technologie d’échange de données de Dawex et est opérationnelle depuis deux ans. “Conquête de clients, identification des moyens de valorisation… Tout ce processus prend du temps, et c’est normal. C’est un business encore naissant. Il faut savoir convaincre nos interlocuteurs des bénéfices qu’ils vont tirer à utiliser le service.”

Alexandre Penon, Senior Vice-Président, Stratégie & Développement pour Dawex, observe le développement de la maturité du marché dans ce domaine, en lien notamment avec la diffusion plus large d’une culture de la Data. Et toutes les industries sont concernées par les échanges et la valorisation.

“Nous observons des centaines d’initiatives, qui couvrent entre autres la santé, le secteur public, l’assurance, le transport, l’aérospatial, etc. Dans l’agriculture, je peux citer plus spécifiquement Agdatahub, qui organise l’écosystème de l’échange de données au sein de l’ensemble de la filière agricole.”

Des business models à composer et conjuguer

Si le partage concerne toutes les organisations, c’est notamment car elles se retrouvent sur des mêmes finalités, dont la recherche d’amélioration de l’efficacité opérationnelle et de l’efficience marché. La monétisation directe, soit la création d’une nouvelle source de revenus, peut constituer un autre objectif. C’est celui qu’a poursuivi au départ Afteriize.

“Je parle désormais de valorisation. Nous avons créé des partenariats qui ont pour effet de générer des impacts directs sur nos business (…) Nos fournisseurs ne sont pas les seuls intéressés par nos données. Nous avions au début oublié des acteurs comme les banques et les assurances. Nous sommes donc passés d’un modèle fournisseur unique à N clients à un modèle multi-fournisseurs et multi-clients”, explique Ludovic Codeluppi.

Les données permettent globalement aux utilisateurs de la marketplace “de comprendre ce qui se passe” sur leur marché. Et cette connaissance s’accroît avec la diversification des sources de données et de leurs contributeurs. “L’échange de données crée de la valeur, en interne comme en externe. Il permet par exemple d’être plus pertinent sur une réponse commerciale ou supply.”

Dans l’aéroportuaire, les acteurs sont aussi très divers. Hub One DataTrust se construit sur la position centrale qu’occupe Aéroport de Paris (ADP), “clé dans l’échange de données”. De fait, “il détient lui-même beaucoup de données, importantes en outre, la plus importante étant l’info-vol (…) Aujourd’hui, les échanges sont relativement faibles”, mais le potentiel est là.

Or, “un aéroport, c’est à la fois le traitement de flux et d’aléas. Echanger des informations sur l’ensemble des opérations en cours a beaucoup d’intérêt pour la plupart des partenaires. Les embarquer dans le projet, ce n’est pas le plus compliqué”, constate Jean-Sebastien Mackiewicz. La difficulté réside plus dans l’identification des données pour chaque prestataire et dans la mise en place d’une gouvernance.

Dans ce secteur naissant de l’échange, les pilotes doivent savoir déployer leur stratégie avec flexibilité. “Comme Afteriize, nous étions partis bille en tête sur la monétisation. Nous parlions aussi de marketplace. A présent, nous parlons plus de plateforme d’échange. Avec un enjeu opérationnel, les acteurs n’ont pas envie d’entendre parler en premier lieu de monétisation. Ils s’inscrivent plus dans une logique de troc bénéficiant à tous.”

La monétisation : entre tentation et épouvantail

BANNIERE CARRE KYNDRYLAfin d’opérer ces trocs ou échanges, un cadre de confiance est indispensable, souligne d’ailleurs le dirigeant, qui se félicite dans ce domaine de l’apport de la législation européenne avec le DGA. La monétisation constitue donc une phase ultérieure. Elle doit en particulier financer la fonction de l’intermédiaire de données.

Pour industrialiser et pérenniser les échanges, un modèle économique est nécessaire. Alexandre Penon en identifie trois principaux – et non-exclusifs. La data marketplace, telle que mise en place par Afteriize, consiste pour un opérateur à réunir fournisseurs de données et acquéreurs, qui interagissent entre eux contre “monnaie sonnante et trébuchante” – même si des données peuvent être gratuites. L’opérateur est rémunéré via des abonnements et des commissions.  

Le 2e modèle, l’industry data hub, réunit comme chez Hub One DataTrust, les partenaires d’un écosystème physique (aéroport, chaîne de valeur ou d’approvisionnement). Ils se réunissent pour échanger des données opérationnelles dans le but d’améliorer collectivement leurs opérations. Certaines des données ainsi partagées peuvent être payantes.

Le dernier modèle est le corporate data hub. Il correspond à l’échange de données au sein d’un groupe de grande ampleur avec généralement des entités multiples et dispersées, soumises souvent à des réglementations hétérogènes concernant la donnée. Les infrastructures techniques sont elles aussi hétérogènes. Le Hub vise à faciliter les échanges dans cet environnement complexe.

Avant d’arrêter le modèle, d’autres étapes sont à mener. Malgré la volonté partagée de valoriser les données, des freins demeurent, dont les craintes autour de la gouvernance de la donnée. “Cela demande un investissement important des acteurs. C’est le cas de notre maison-mère, ADP.” 

Jean-Sebastien Mackiewicz préconise aussi une approche sous un angle “très business et terrain. On observe les cas d’usage et les besoins. On part des cas d’usage concrets pour identifier les données capables de générer des impacts significatifs, leurs détenteurs, la qualité de ces données…”.

Une stratégie et une vision sur le long terme

Ludovic Codeluppi insiste lui aussi sur l’importance de la gouvernance et de la culture. Dans ce domaine, Mobivia est d’abord montée en compétences sur la Data For Business. Ensuite, avec les demandes externes, l’entreprise a développé la Data as a Business.

“Il faut garder en tête que l’échange de données fonctionne quand les acquéreurs potentiels savent quoi en faire”, prévient-il. D’où l’intérêt d’évangéliser le marché, son écosystème, et ses participants. Afteriize compte aussi sur ses partenaires fournisseurs de données pour couvrir les multiples cas d’usage existants ou à venir.

Alexandre Penon retient également la prépondérance de la culture des données. La maturité au niveau des infrastructures techniques (data fabric, data catalogue, stratégie cloud….) est un autre facilitateur de l’industrialisation des échanges.

De plus, L’expert juge indispensable, pour surmonter les freins internes, que “la vision soit portée au niveau exécutif. Les décisions se prennent à ce niveau. Cela permet en outre d’aligner les parties, notamment CDO, CPO et DSI.”

Enfin, cette vision est pensée sur le long terme avec une “capacité à se projeter sur 5 ans minimum (…) Si le management n’y croit pas et ne se projette pas sur la durée, des forces contraires risquent de se manifester assez rapidement.” Un autre indispensable : la mise en œuvre, c’est-à-dire passer de la stratégie à la réalisation.