Frédéric Mazzella (BlaBlaCar) : cultiver l’esprit tribu

Le 24 novembre 2016, Frédéric Mazzella, 40 ans, présidait la deuxième édition du « Prix des Startup
normaliennes » à l’ENS-ULM, remporté par LightOn*, qui développe une nouvelle génération d’ordinateurs optiques, optimisés pour les calculs de l’IA. L’occasion de revenir sur son attachement aux innovateurs et sa façon de gérer sa société, BlaBlaCar, en croissance continue.

Frédéric Mazzella (BlaBlaCar) : Cultiver l'esprit tribu

Frédéric Mazzella, fondateur de BlaBlaCar © Blablacar

Alliancy, le mag. La soirée de remise de prix s’achève. Est-ce important pour vous de présider un tel événement en tant qu’ancien élève de l’ENS ?

Frédéric Mazzella. Je suis très heureux que l’entrepreneuriat et la création d’initiatives et d’entreprises aient leur place à Normale sup. À l’époque où j’y étais, je n’ai pas souvenir que l’on m’ait dit que créer une société pouvait faire partie de mon parcours futur. C’est un bon signal d’expliquer aux étudiants que la recherche, l’innovation et la création, c’est le même procédé, c’est-à-dire que l’on se lance dans l’inconnu… Non seulement, l’entrepreneuriat est une voie possible, mais une voie pertinente par rapport à ce que l’on peut appeler la recherche dans son ensemble. La recherche n’est pas que fondamentale.

Quel est votre rapport aux start-up aujourd’hui ?

Frédéric Mazzella. Je suis business angel d’une part [Yescapa, Holidog, HowTank, StarOfService..., Ndlr] ; j’interviens aussi dans des fonds qui eux-mêmes investissent dans des start-up [The Family, 50 Partners Capital, Ndlr] et je participe à divers concours ou événements comme celui-ci… En fait, tout cet écosystème m’intéresse, c’est intellectuellement très enrichissant. Il y a beaucoup d’opportunités, reste juste à choisir.

Considérez-vous BlaBlaCar encore comme une start-up ?

Frédéric Mazzella. C’est un peu comme si vous me demandiez si je suis jeune ou pas, je ne vais pas vous dire « non », car je pense que c’est dans la tête. Et l’esprit start-up, c’est l’agilité, la remise en cause, l’exploration… Et, toutes ses valeurs, nous les avons et souhaitons les conserver tout le temps.

D’ailleurs, on ne gère plus une start-up de 10 personnes comme une société de plus de 500 salariés… Du coup, comment prolonge-t-on cet état d’esprit ?

Frédéric Mazzella. On le fait en étant capable de lancer des projets, de les arrêter tout aussi vite s’ils ne fonctionnent pas, d’en essayer d’autres… et de reconnaître nos erreurs. Nous apprenons continuellement ! Sur notre plateforme mondiale de services, nous faisons une dizaine de mises en production de code par jour, et c’est comme cela pour tout.

Rien n’est jamais figé ?

Frédéric Mazzella. Jamais ! Il y a toujours cette notion d’itération, d’innovation permanente. Même physiquement, les gens changent de bureau tous les deux trois mois. Chez BlaBlaCar, comme dit Héraclite, « la seule constante, c’est le changement » ! Tout le monde s’y adapte, car c’est aussi très sympa. C’est d’ailleurs l’état d’esprit que l’on affiche au travers de nos dix valeurs dont l’une dit bien Fun & Serious.

« Depuis 10 ans, je recrute des talents. »

Et vous arrivez à le rester malgré votre taille ?

Frédéric Mazzella. C’est même la meilleure manière de travailler. Personne n’aime s’ennuyer ! Quand vous êtes sérieux dans votre travail, vous pouvez avoir du fun collectif, car vous êtes heureux de partager cela avec vos collègues. Par contre, si vous commencez à manquer de sérieux, cela devient beaucoup moins drôle et le collectif en pâtit énormément. Toutefois, on y parvient car on s’entoure des personnes les plus talentueuses que l’on rencontre. Depuis dix ans, c’est la chose la plus importante que je fais, recruter des talents [BlaBlaCar ouvre environ 10 postes par mois, Ndlr].

Combien de personnes comptent votre garde rapprochée aujourd’hui ?

Frédéric Mazzella. Il y a évidemment mes deux cofondateurs, Nicolas Brusson et Francis Nappez ; le comité exécutif de 8 personnes, puis le board avec les investisseurs et quelques autres personnes intervenant sur des sujets clés de développement, produit et communication… Soit environ 20-25 personnes.

Vous êtes 350 personnes au siège parisien, 200 autres à l’international. Comment conservez-vous le lien entre tous ?

Frédéric Mazzella. Toutes les six semaines, on organise à Paris des sessions où tous les bureaux se retrouvent. On a aussi des événements annuels, mais surtout, dans notre logique de share more/learn more, nous avons les BlaBlaTalk, des prestations filmées et retransmises en direct dans nos vingt-deux pays.

C’est-à-dire ?

Frédéric Mazzella. Selon un planning préétabli, chaque semaine un sujet différent est abordé, présenté par l’un de nos départements. Que ce soit la technique, le marketing, les ressources humaines, la finance, la communication… L’équipe raconte ce qu’elle a fait dans les dernières semaines et ses projets à venir. Tout le monde y a accès en direct et peut poser des questions. C’est un moment de synchronisation hebdomadaire très important.

Et de transparence ?

Frédéric Mazzella. Tout à fait. Mais la transparence, ça veut dire aussi la responsabilisation. Quand on dit ce que l’on fait ou ce que l’on va faire, on s’engage. Et mieux vaut avoir quelque chose à dire. Au-delà, cela permet à tous les collaborateurs de comprendre les différentes facettes de la société, expliquées par ceux qui les mettent en oeuvre et pas uniquement par son métier ou les dirigeants. C’est un éclairage différent et complémentaire, indispensable sur la société.

Chez BlaBlaCar, la moyenne d’âge est de 29 ans. Que diriez-vous de la jeune génération ? Est-elle si différente ?

Frédéric Mazzella. Toutes les générations ont des reproches à faire à la génération d’après. Ce n’est pas un sujet si ce n’est qu’elle a une autre manière de travailler. Il y a des gens excellents, super-motivés, mais qui exigent plus de transparence, plus d’honnêteté, plus de sens… C’est difficile de répondre, car je vis très bien dans l’environnement de travail que nous avons mis en place, très responsabilisant. BlaBlaCar amène un service vertueux, à la fois d’optimisation des ressources d’énergie et de mutualisation des moyens… Il y a aussi l’enjeu sociétal – on met des personnes en relation à qui l’on fait économiser de l’argent –, tout ceci est très motivant.

L’évolution des compétences, est-ce un sujet pour vous ?

Frédéric Mazzella. La réalité, c’est que tout va tellement vite aujourd’hui, qu’il est extrêmement difficile de trouver des formations structurées qui adresseraient des problématiques auxquelles nous sommes confrontées. La moitié des jobs aujourd’hui chez BlaBlaCar n’existait pas, il y a cinq ans… On est en « reboot » complet des types de métiers. C’est pourquoi, pour beaucoup de fonctions dans la société, avoir 15 ou 20 ans d’expérience n’a pas grand intérêt puisque ce que nous faisons est totalement nouveau.

Quelle solution avez-vous trouvé alors ?

Frédéric Mazzella. On s’entraîne les uns avec les autres, d’où notre système de BlaBlaTalk, mais aussi de BlaBlaLearn, des cours internes par département où chacun présente son métier à ses collègues. Quand de nouvelles recrues arrivent, elles disposent de ces outils d’apprentissage. Nous suivons également de nombreuses conférences internationales sur tous les sujets du numérique et, plusieurs fois par an, on envoie des équipes visiter des sociétés, souvent américaines [Airbnb, Dropbox, LinkedIn, PayPal, Slack…, Ndlr] comme, en mai dernier par exemple, pour comprendre leur façon de faire progresser leurs produits. C’est ce que l’on appelle chez nous les Field Trips, ça dure une semaine et on visite une quinzaine de sociétés dans la Silicon Valley, souvent avec lesquelles nous partageons des investisseurs communs. C’est cela la force de l’écosystème.

Vous venez d’emménager près de la Bourse sur de grands plateaux colorés et attractifs… De beaux espaces, c’est important ?

Frédéric Mazzella. Je ne me formalise plus sur les locaux. C’est notre cinquième déménagement ! Mais vous avez entendu la présentation de Theranexus ce soir, sur l’impact socio-économique des maladies neurodégénératives ? Eh bien, à notre échelle, on essaye déjà de faire que le travail chez BlaBlaCar, ça
aille bien. 

*Cette start-up, fondée en juin 2016 par quatre physiciens de l’ENS et l’ESPCI, développe une nouvelle génération d’ordinateurs optiques, optimisés pour les calculs de l’IA (www.lighton.io).

 

Fondateurs de blablacar

10 ans déja…

BlaBlaCar a été fondée par Frédéric Mazzella en 2006, et rejoint par Francis Nappez et Nicolas Brusson. Plus de 35 millions de membres dans 22 pays.

Premiers marchés : France et Russie, puis Allemagne, Espagne, Pologne et Italie…

550 collaborateurs (350 à Paris, le reste dans plus d’une dizaine de bureaux à l’international).

Valorisation : 1,6 milliard de dollars.

Cet article est extrait du magazine Alliancy n°16 à commander sur le site.