Pierre-Jean Barre (IMREDD) : « Le smart building, c’est avant tout remettre le citoyen au centre du building. »

Pierre-Jean Barre est le directeur de l’Institut méditerranéen du risque, de l’environnement et du développement durable (IMREDD), qui a pour mission de définir de nouvelles formes de collaborations entre la recherche, l’entreprise et le territoire dans les domaines des technologies vertes et de la smart city. Observateur privilégié des transformations en cours, il enjoint aux acteurs de l’écosystème smart building de faire évoluer leurs modes de fonctionnement.

Smart Building carnet >> Cet article est extrait du carnet « Nouvelle donne de l’écosystème smart building ». Téléchargez-le pour découvrir les témoignages d’experts du secteur.

 

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Pierre-Jean Barre, directeur de l’Institut méditerranéen du risque, de l’environnement et du développement durable (IMREDD),

Alliancy. Quelles transformations anticipez-vous pour le smart building dans les prochaines années ?

Pierre-Jean Barre. Je vois deux changements majeurs, que le monde industriel peine encore à accepter. Le premier est au niveau de la prise en compte du client final. À l’intérieur du bâtiment, il s’agira de mieux répondre aux vrais besoins des propriétaires, des locataires, des usagers de bureaux… Aujourd’hui, quand on construit un bâtiment, ces clients finaux sont mis devant le fait accompli, alors qu’ils aspirent dorénavant à beaucoup d’autres services. Il y a une tentation de rajouter de la technologie dans les bâtiments, notamment des objets connectés, mais cela reste souvent des gadgets car ils sont rattachés à posteriori aux projets. Au contraire, le tournant majeur qui s’opère va être l’intégration dès le départ des nouveaux services, dès la conception du bâtiment, pour mieux répondre aux besoins et à l’usage réel. Le smart building, c’est avant tout remettre le citoyen au centre du building. Ce n’est pas seulement un « connected building ».

Et le second changement ?

Pierre-Jean Barre. La deuxième évolution importante correspond au fait de repenser la position du bâtiment dans son environnement. On sait aujourd’hui plutôt bien construire des bâtiments à énergie positive, mais beaucoup moins les positionner par rapport à d’autres bâtiments, selon leurs usages (logement, travail, mixte…). Au niveau énergétique notamment, la coordination intelligente des bâtiments entre eux permettra de changer la donne au niveau du quartier ou même plus globalement d’un territoire. Une somme de bâtiments intelligents ne fait pas un quartier intelligent : il faut faire mieux. Il s’agit nde préparer l’autoconsommation collective.

Carnet d'expériences Écosystème Smart Building Alliancy Pourquoi les acteurs du bâtiment n’ont-ils pas, jusqu’à présent, proposé plus de réponses sur ce sujet ?

Pierre-Jean Barre. Nous avons déjà un problème très simple de législation. La loi est en train de changer pour mieux prendre en considération ces problématiques, par exemple la revente d’énergie entre bâtiments ; mais cela n’est pas encore fait. Ensuite, pour la plupart des acteurs, va se poser la question de la rentabilité, c’est-à-dire du business model à aligner avec ces nouvelles pratiques. Et cela doit se faire en parallèle d’une évolution générale, citoyenne, des états d’esprit sur les pratiques, la sobriété énergétique, les modes de consommation… Cela sera accéléré quand les consommateurs eux-mêmes pourront être des producteurs, qu’ils pourront revendre leurs surplus non consommés, car on générera ainsi un intérêt sur le sujet que n’ont pas les simples consommateurs.

Est-ce que, malgré tout, vous voyez les pratiques des entreprises s’adapter ?

Pierre-Jean Barre. On sait que les professionnels sont sensibilisés. Ils viennent aujourd’hui de plus en plus nous chercher pour que nous les accompagnions dans une meilleure prise en compte de ces problématiques. Ce n’était absolument pas le cas il y a quelques années. Et ce ne sont pas seulement les responsables de l’innovation : il s’agit bien de responsables côté business, car l’objectif est de vendre. Le problème est qu’encore trop souvent, les innovations sont rattachées artificiellement à des projets préexistants. Certains ajoutent des prises intelligentes, d’autres des ruches connectées… Cela permet de montrer qu’il y a une démarche d’innovation. Et c’est un peu plus simple que de s’interroger vraiment sur les besoins profonds du citoyen, dans le cadre du bâtiment, du quartier, de la ville… Mais nous arrivons dorénavant à un moment charnière : il y a l’envie de faire plus, seulement les industriels ne savent pas exactement comment. Le fait qu’il n’y ait pas de réponses simples en termes de modèle économique freine évidemment les réflexions. Cependant,la réalité est que le besoin des individus est là et qu’ils seront de plus en plus prêts à payer pour des services pertinents, qui ne soient pas des gadgets. Il paraît évident que les premiers sujets de ROI pourront être adressés au niveau des problématiques énergétiques, mais cela doit se faire en impliquant l’usager, en le rendant acteur. 

Quel message est-il urgent de faire passer aux acteurs de l’écosystème aujourd’hui ?

Il faut qu’ils prennent l’habitude d’utiliser les ressources académiques à leur disposition.Le monde des industriels et le monde académique sont encore beaucoup trop séparés en France : chacun vis dans sa bulle, avec ses propres KPI, ses propres réflexes… Pourtant, nos chercheurs peuvent bousculer les façons de penser et de faire, tout en permettant de mieux prendre en compte ce facteur humain. Et le message s’adresse aussi aux académiques : collaborer avec les entreprises n’est pas négatif, c’est au contraire un moyen efficace pour faire progresser toute la société sur ces enjeux majeurs.