Câbles sous-marins : Alcatel Submarine Networks plonge dans l’industrie 4.0

Lancé il y a 3 ans, le projet de continuité numérique de l’industriel Alcatel Submarine Networks a transformé en profondeur ses processus de fabrication et donne ses premiers résultats. Christophe Bejina, DSI de l’entreprise, nous explique l’ampleur des changements.

ASN Cable Map - DR. Alcaltel submarine networksAu fond de nos océans, 1,3 million de kilomètres de câbles sous-marins voient passer 98 % du trafic internet mondial. Depuis la pose du premier câble il y a plus de 35 ans, ces infrastructures critiques n’ont cessé de croître, tirant derrière elles un complexe marché industriel de fabrication, de pose et de maintenance de câbles. Celui-ci connaît une forte croissance, malgré les crises économiques et géopolitiques.

« Il y a six ans, la production a explosé : les Gafam sont passés à la vitesse supérieure en déployant encore plus de câbles tout autour du monde. Ils ont beaucoup de projets en cours et à venir, malgré la situation mondiale », décrit Christophe Bejina. Le directeur des systèmes d’information d’Alcatel Submarine Networks (ASN) est aux premières loges pour voir l’effet de cet engouement. Son entreprise, qui appartient depuis 2016 au groupe finlandais Nokia, via la filiale française de ce dernier, est en effet l’un des premiers fabricants et poseurs mondiaux de câbles.

Réduire les coûts de non-qualité

« Nous avons atteint des pics de production très significatifs, ces derniers mois. Nous avons anticipé que nous allions toucher à nos limites sur certains domaines si l’on ne changeait pas nos modes de fonctionnement… Les projets sont de plus en plus sophistiqués : les débits demandés augmentent, les consortiums se complexifient… et ils deviennent beaucoup plus exigeants. Les grands acteurs du numérique sont très affûtés sur les outils digitaux, beaucoup plus que les opérateurs classiques avec lesquels nous avions l’habitude d’échanger », explique celui qui dirige une équipe d’une centaine de personnes au sein de la DSI, chargées d’intégrer profondément le digital dans les opérations, dans une logique d’industrie 4.0.

A lire aussi : Chez Lacroix, le digital est associé à l’amélioration continue

Au-delà de l’enjeu en termes d’image et d’attractivité, la digitalisation des processus de l’entreprise est un moyen clé pour réduire les coûts de non-qualité et diminuer les temps unitaires de fabrication, deux aspects qui pèsent lourdement sur le modèle d’affaires de l’industriel. C’est ce qui explique la volonté d’ASN de mettre en œuvre une stratégie digitale dite de « continuité numérique » pour l’ensemble de ses opérations. Au côté de sa flotte de sept navires câbliers, ASN possède deux usines, l’une à Calais qui fabrique les câbles, l’autre implantée à Greenwich qui produit les boîtiers amplificateurs et les répéteurs ; toutes deux pouvaient bénéficier d’une transformation numérique ambitieuse. « Digitaliser les ateliers, c’est faire en sorte que l’acte de production soit supporté par un système digital facile à utiliser pour nos collaborateurs, et qui réduise la part humaine et le temps passé dans la transmission de l’information », explique Christophe Bejina pour décrire le projet lancé il y a trois ans. Pendant 24 mois, la DSI est donc montée au créneau pour montrer la technologie et les premiers développements aux équipes de production, et leur faire prendre part dans ce qui devait absolument être un projet global d’entreprise plutôt qu’une simple initiative technique.

Une des fondations pour cette transformation vers l’industrie 4.0 est le déploiement d’une couverture 5G dans les usines. Mais au-delà, au cœur du projet, la création d’un « fil conducteur numérique » permet dorénavant de se passer de documentation papier, en synchronisant autour d’une source de données fiable les logiciels de PLM (cycle de vie du produit), MOM (management des opérations industrielles) et ERP (gestion des ressources de l’entreprise) sur lesquels reposent tous les processus de l’entreprise. « Les opérateurs dans les usines doivent avoir accès à une source unique de vérité et, en retour, pouvoir alimenter un datalake lié à leur activité de production… Toutes les mesures, les anomalies, les informations de production doivent être capturées en bonne et due forme, puis analysées afin de pouvoir mettre en œuvre des actions proactives et préventives », détaille le DSI de l’entreprise.

Accompagner les équipes de production

Cette chaîne numérique ne fonctionne que grâce à la cohérence de la « data plateforme » d’ASN, insiste Christophe Bejina : « On a constitué cette plateforme comme point de référence unique : il s’agissait de ne plus avoir à gérer des bases de données un peu partout dans le système d’information. Elle a dû être conçue dans le cadre d’un schéma global, intégrant la gestion de la sécurité. Nous voulions éviter la prolifération technologique et les coûts de gestion de données très importants qui y sont liés. »

Le pilote déployé dans l’usine de Greenwich a fait ses preuves et Christophe Bejina anticipe donc la montée en puissance du projet sur le site de Calais, dont les processus de fabrication sont plus complexes. « Réussir à produire les premières pièces dans nos usines sur la base de ce système sans jamais avoir eu recours à du papier ou même à un tableau Excel, c’est un signe clair de succès », estime-t-il, tout en disant surveiller un indicateur clé, l’accélération des opérations de fabrication.

Fin du papier, fin de l’Excel, utilisation de tablettes… le changement de pratiques n’est pas sans conséquence pour les équipes de production. Christophe Bejina a bien conscience que l’appropriation ne se décrète pas. Selon lui, jusqu’à un an d’accompagnement peut être nécessaire pour que les équipes s’emparent du système : « En ayant dès le départ des membres des équipes IT dédiés au sujet au sein des équipes projets, cela aide. Certains ont accompagné les collaborateurs à Greenwich, d’autres à Calais, dès les premiers tests ». De même, la relation avec l’écosystème de prestataires intervenus dans le projet, et notamment l’éditeur PTC dont les outils (les logiciels de CAO, de PLM et plateforme d’IoT industriel utilisés par ASN notamment) se sont retrouvés au centre du jeu, a été un point d’attention très fort pour le DSI. « On a été attentif à créer une relation de qualité, régulière. Avec Nokia, Free Pro, et surtout avec PTC, nous avons considéré que nous étions dans une relation partenariale… Nous ne pouvions pas nous permettre d’avoir juste un guichet pour acheter des solutions, la coopération a dû être beaucoup plus poussée ».

Ces premières réussites des idées supplémentaires au directeur des systèmes d’information d’ASN. « Les prochaines étapes, ce serait l’exploitation de toutes ces données par l’IA évidemment. Il va dorénavant y avoir une richesse énorme à aller chercher pour produire des actions préventives, pour faire de la qualité prédictive, de la maintenance prédictive… On expérimente d’ores et déjà pour détecter les schémas qui semblent annonciateurs de défauts de fabrication, de ruptures de tube…. Le coût de la non-qualité est très fort pour nous, et la data sera au cœur de notre modèle pour agir dessus », se projette-t-il. Jumeaux numériques, métavers industriels… le chemin se dégage donc aujourd’hui pour déployer, demain, ces concepts qui paraissaient lointains à ASN il y a encore quelques années.