Gilles Mezari (Syntec Numérique) : « Pour soutenir et développer l’innovation, la stabilité fiscale est essentielle »

Depuis 2011, Syntec Numérique et EY organisent annuellement le « Panorama Top 250 des créateurs et éditeurs de logiciels en France ». Le prochain cru, organisé avec le support d’Alliancy, a été dévoilé le 8 octobre. A cette occasion, Gilles Mezari, co-Président du collège des éditeurs de logiciels au sein de Syntec Numérique, partage sa vision des principaux changements en matière de compétences et d’innovation pour le secteur.  

Alliancy. Lors de l’annonce du Top250 2018, vous évoquiez la volonté de Syntec Numérique d’animer d’une nouvelle façon l’écosystème de l’édition de logiciels. Où en est-on ?

Gilles Mezari, co-Président du collège des éditeurs de logiciels au sein du Syntec Numérique

Gilles Mezari. Le contexte est toujours à un bon dynamisme de notre secteur, avec une augmentation marquée du chiffre d’affaires des éditeurs de logiciels. Nous dévoilerons tous les indicateurs clés le 8 octobre. Nous avons continué notre action sur nos trois principaux thèmes clés : l’accès au marché, aux financements et aux compétences. Un point très positif est que nous remarquons un engouement pour tous les sujets transversaux et business. De nombreux éditeurs participent ainsi aux ateliers que nous consacrons à des thèmes comme la propriété intellectuelle ou le « customer success ». En parallèle, pour continuer à mieux animer cet écosystème, nous avons cherché à traduire le focus stratégique de notre président Godefroy de Bentzmann, pour qui les enjeux de transformation numérique ne sont pas seulement BtoC ou BtoB : ils concernent la société dans son ensemble. Notre engagement pour les années à venir est donc bien sur des sujets « Business to Human ».

Quelle forme cela prend-il ?

Gilles Mezari. Syntec Numérique contribue à encourager la transformation numérique de notre pays à travers la promotion des nouveaux usages du numérique. Nos travaux sur ces sujets portent donc sur des enjeux aussi divers que la télémédecine ou l’arrivée de l’IA dans la santé, la ville intelligente ou les services publics qui sont de plus en plus numériques, le développement durable, etc. Et bien sûr, parce que c’est une des raisons d’être de Syntec Numérique, nous mettons particulièrement l’accent sur la formation et la reconversion professionnelles. Nous devons en effet tous nous préparer à des métiers très différents demain. Dans le cadre des travaux sur le Pacte productif pour le plein emploi en 2025, sur lesquels nous avons été mobilisés par les ministres concernés, nous avons appelé le Gouvernement à s’engager durablement pour la reconversion aux métiers du numérique. Fort des résultats obtenus depuis 6 ans en région Grand Est, nous appelons officiellement à déployer progressivement « Numéric’Emploi » au niveau national en impliquant chacune des grandes régions françaises, les directions régionales de Pôle Emploi et les organisations professionnelles. Nous sommes convaincus que la reconversion aux métiers du numérique est le grand défi des années à venir, à la fois pour des publics en recherche d’emploi ou pour des publics susceptibles de se reconvertir.

Et en termes de formation professionnelle ?

Gilles Mezari. Le droit d’avoir une formation tout au long de sa vie est essentiel. Et cette formation doit pouvoir être « initiale » dans le sens où chacun a le droit de changer complètement de métier. Nous devons tous anticiper les modifications profondes des emplois pour ne pas connaître un choc aussi fort que celui provoqué par la disparition de certaines grandes industries du XXe siècle.

Les nouveaux métiers liés au numérique n’existent pas encore tous, il faut donc les anticiper au mieux pour éviter de nouvelles ruptures. La seule certitude, c’est bien aujourd’hui l’opportunité que représente le numérique pour l’emploi. Le secteur compte en effet 93% de CDI avec un salaire moyen de près de 50 000 euros. Pour le reste de l’économie, ces chiffres sont respectivement de 69% et 35 000 euros, ce n’est pas anodin !

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Quelle est la position de votre écosystème sur le sujet ?

Gilles Mezari. Nous renforçons nos échanges avec les grands groupes puisque nos enjeux sur le thème des compétences sont en partie communs. La pyramide des âges dans ces entreprises implique qu’elles ne pourront pas reconvertir de façon pertinente tous les salariés qui en auraient besoin, si elles se contentent de mettre en œuvre leurs moyens d’action traditionnels. Nous pouvons au contraire proposer de nouvelles voies originales. Cette démarche convainc d’ailleurs les éditeurs de logiciels : ils ont pris l’habitude d’embaucher des jeunes talents à la sortie des écoles, mais ils ont également pris conscience de l’impératif d’aller chercher ailleurs les compétences manquantes. Des personnes déjà en poste dans des entreprises, qui se reconvertissent vers le numérique, ont l’avantage d’avoir déjà des savoir-faire et des savoir-être professionnels importants, avec des connaissances fines des processus du monde de l’entreprise. Les organisations n’ont d’ailleurs jamais autant recherché de soft skills. Nos partis pris sur la formation et la reconversion visent à en faciliter l’accès.

L’an passé, vous annonciez qu’il fallait que le gouvernement dépasse les effets d’annonces sur l’innovation en France pour mener des actions concrètes. Que pensez-vous des dernières déclarations du président de la République et du gouvernement ?

Gilles Mezari. Nous sommes toujours très attentifs aux annonces qui concernent la dynamique d’innovation française. Nous ne pouvons que saluer des initiatives comme le Next40 et les 5 milliards d’euros fléchés pour favoriser l’investissement dans nos start-up françaises. Mais ne tombons pas dans le piège de croire qu’il s’agit là des seuls « acteurs de l’innovation » en France. Notre pays regorge de PME innovantes, notamment dans notre secteur de l’édition de logiciels et il ne faut pas les abandonner. Nous sommes donc vigilants sur les dispositifs concrets de soutien à l’innovation : il ne faut pas que les nouveaux viennent raboter ceux qui avaient déjà été mis en place. Pour innover les entreprises ont besoin de stabilité des dispositifs CIR, CII, JEI[1], et les éditeurs ont besoin de savoir qu’ils sont compris et reconnus par les autorités. Les entreprises du numérique, qui sont moteurs pour l’ensemble de l’économie, ont besoin du soutien des dispositifs d’aide à la R & D, notamment ceux ciblant les emplois qualifiés.

De notre côté, nous mettons en avant le dispositif IP Box, pour lequel nous avons œuvré auprès des pouvoirs publics et qui permet de bénéficier d’un taux réduit à 10 % d’imposition sur les revenus nets issus de certains droits de propriété intellectuelle liés aux concessions et sous-concessions de licences. L’une de nos principales préoccupations est en effet le nécessaire alignement de l’administration fiscale avec les annonces du gouvernement. Il y a encore un décalage trop important.

En 2020, où est le principal enjeu de transformation de l’édition de logiciels en France ?

Gilles Mezari. Très clairement la transformation du business model autour du Software as a Service. Celle-ci est loin d’être achevée. Nous remettons d’ailleurs dans le cadre du Top 250 des créateurs et éditeurs de logiciels en France, un prix qui récompensera la transition la plus réussie ou la meilleure performance d’un éditeur SaaS. Nous le remettons avec deux partenaires, spécialistes du sujet, CM-CIC Leasing et ASF Consulting, qui ont permis la mise en œuvre de notre dispositif MoneySaaS pour les éditeurs en transformation. Car au-delà des enjeux de technologies et d’organisation commerciale, il y a un enjeu de gestion de trésorerie liés au changement de modèle. De tels dispositifs sont de bons exemples de l’accompagnement que nous entendons fournir à nos adhérents, entreprises individuelles ou associations d’entreprises partenaires : des structures, outils, et informations pour développer un modèle d’affaire durables dans un monde numérique.

[1] Crédit impôt recherche / Crédit impôt innovation / Jeune entreprise innovante