Collaborateurs IT : comment sélectionner les talents à fidéliser ?

[L’Analyse] Recruter un talent, c’est bien. Le conserver, c’est mieux. Alors que certains profils apparaissent encore en pénurie en 2024, les entreprises débordent d’originalité pour conserver leurs collaborateurs. Cependant, à défaut de pouvoir fidéliser tout le monde, comment identifier les profils auxquels donner la priorité ?

La guerre des talents fait rage : selon l’Institut Montaigne, près de 10 % des postes IT n’ont pas été pourvus en 2022. Avec une pénurie croissante de compétences, les entreprises et leurs départements IT doivent attirer et, surtout, retenir les meilleurs profils pour éviter le turn-over. Cependant, la notion de « meilleurs profils » est une notion protéiforme, qui évolue au fur et à mesure de la croissance de l’entreprise, de ses projets et des technologies émergentes. Comment identifier les collaborateurs que l’entreprise doit absolument fidéliser, pour les besoins présents et à venir, à défaut de pouvoir fidéliser toutes les équipes ?

« Les profils IT sont des profils pénuriques sur le marché : outre le coût d’un turn-over classique, estimé entre 45 000 euros et 100 000, selon une étude du cabinet Hays, le turn-over sur des profils IT est encore plus coûteux : étant très demandés sur le marché, ils sont difficiles à remplacer » précise Aurélie Peyriere, DRH chez Marvin Recruiter.

« Pendant de nombreuses années, les profils IT ont été vus comme des ‘’ouvriers des temps modernes’ remplaçant les rivets et les clous par des 1 et des 0. Mais aujourd’hui, il n’est plus à démontrer le caractère essentiel de ces compétences » complète Johann Guegan, CEO et fondateur du cabinet de recrutement Skillink. « Dans la Tech, ce début d’année 2024 s’avère dynamique avec une progression de la création d’emplois, après une baisse continue dans le numérique depuis avril 2023. La pénurie des talents devrait donc se poursuivre »

Mettre en place une démarche collaborative de sélection des profils à fidéliser

Le turn-over des collaborateurs entraîne une perte de compétences, dégrade l’ambiance et la motivation, tout en produisant un impact négatif sur les avancées des projets. Il doit donc être limité et les profils clefs identifiés.

Choisir les collaborateurs à fidéliser nécessite une collaboration entre la direction, les ressources humaines et les managers afin d’analyser et définir les besoins, les compétences et les objectifs à atteindre. La mise en œuvre de cette démarche demande des revues régulières et une communication transparente entre les parties prenantes de l’entreprise, notamment sur la situation du turn-over dans l’entreprise.

« Il est crucial de mesurer le turn-over actuel de l’entreprise et de comprendre les moments où il se produit : les premiers mois, avant 12 mois, ou au-delà » affirme Nathaniel Philipe, cofondateur et CEO d’Heyteam. « Une analyse approfondie de ce sujet permet d’apporter un regard objectif sur la situation actuelle et de pouvoir suivre son évolution dans le temps. » Il souligne attacher pour sa part une importance particulière à l’onboarding, avec des petits-déjeuners d’accueil, l’établissement d’un planning d’intégration, et la collecte de feedbacks tout au long du parcours. « D’autres initiatives telles qu’une marketplace interne, favorisant le “match” entre les offres d’emploi de l’entreprise et les collaborateurs internes, peuvent être mises en place. La mobilité interne joue un rôle clé dans la rétention des collaborateurs. » souligne encore le spécialiste.

L’identification des collaborateurs clés exige également une évaluation basée sur la performance, la compétence et l’engagement. Pour cela, une revue des talents et une catégorisation des collaborateurs en groupes, tels que les « talents d’exception », les « futurs leaders », mais aussi ceux susceptibles de quitter la société permettent d’obtenir une vision d’ensemble.

Renoncer à fidéliser tous les collaborateurs

Vouloir fidéliser tous les collaborateurs n’est ni possible, ni souhaitable. Chaque collaborateur dispose d’un « cycle de vie » au sein de l’entreprise : une fois que le salarié est arrivé à maturité dans son développement professionnel et ses missions, un départ vers une autre activité peut être préférable.

« Il semble compliqué de fidéliser tous ses collaborateurs et par ailleurs, retenir à tout prix ses équipes n’est peut-être pas souhaitable » affirme Johann Guegan. « Une entreprise a besoin de collaborateurs motivés et engagés pour avancer. Les enfermer dans une prison dorée pour limiter artificiellement son turn-over n’est pas viable à long terme. ». De quoi lui faire dire également que, dans une certaine mesure, un léger turn-over est plutôt sain.

Si le turn-over naturel au sein d’une entreprise apporte une énergie nouvelle, un turn-over trop important doit être évité : l’effet d’entrainement généré peut rendre le phénomène difficile à endiguer, et nuire à l’avancée des projets.

« Fidéliser tous les collaborateurs est un défi, étant donné que les motivations et besoins peuvent varier » rappelle Cécilia Fille, Team Lead et Tech recruteur chez Bluecoders. « Les candidats qui sont dans un environnement où le management est transparent, où ils ont l’impression d’être challengés, reconnus pour leur travail et qui disposent de flexibilité, sont plus difficilement à l’écoute du marché et ne veulent même pas regarder ce qui se passe ailleurs. »

Identifier les besoins présents et futurs de l’entreprise

L’identification des compétences nécessaires pour le développement futur de l’entreprise doit se faire en fonction des priorités et des besoins de développement de l’entreprise. Les DRH pourront traduire la vision des dirigeants dans leurs recrutements et stratégie de fidélisation. 

« La direction définit les besoins et la vision de l’entreprise, les RH les traduisent en compétences, le manager les décline en objectifs et en assure le suivi » confirme Aurélie Peyriere. « Des points réguliers opérationnels et plus axés sur la collaboration devront ensuite être mis en place, idéalement par trimestre, par exemple selon la méthodologie OKR. Les collaborateurs à fidéliser en priorité sont ceux qui à la fois possèdent des compétences nécessaires à l’avancée du projet mais également qui sont toujours en adéquation avec les valeurs et le projet de l’entreprise. »

« Lors de la fidélisation de mes salariés, je privilégie toujours les personnes qui apportent une vraie dimension stratégique à l’entreprise » précise Enea Audouin, Operations Manager chez Nesspay, entreprise technologique spécialisée sur l’acompte sur salaire. « Pour moi ce sont des personnes à absolument garder car elles sont alignées avec le développement de l’entreprise. Contrairement à des compétences purement techniques qui peuvent être remplacées, la vision de l’entreprise et du produit est quelque chose de beaucoup plus difficile à intégrer. »

La fidélisation nécessite la mise en place d’une roadmap des besoins de la structure et l’identification des compétences futures demande une veille constante des tendances technologiques ainsi que du marché.

« Nous regardons beaucoup l’écosysteme US, et les autres pays Européens, et nous avons de nombreuses relations avec des fonds growth qui maitrisent parfaitement ces sujets » témoigne Enea Audouin. « Nous sondons nos clients afin de savoir si ces idées de développement pourraient être pertinentes pour eux. Une fois la roadmap déterminée, nous décidons de développer ces compétences. »

Valoriser le potentiel futur d’une recrue

Le potentiel d’un collaborateur invite également à le fidéliser. L’apprentissage de nouvelles compétences, la montée en grade ou en leadership incitera l’entreprise à le favoriser dans ses processus de fidélisation. Ces éléments doivent être valorisés différemment selon la maturité de l’entreprise.

« Choisir quels collaborateurs fidéliser implique d’évaluer leur alignement avec la vision de l’entreprise et leur impact sur les objectifs stratégiques de l’entreprise » affirme Enea Audouin. « Un employé ultra-performant au lancement de l’entreprise pourrait être moins adapté à une phase de passage à l’échelle par exemple, chacun ses compétences. .»

La formation continue, qui représente un certain coût pour l’entreprise, est un des piliers essentiels pour maintenir l’engagement des talents IT. Offrir des opportunités de montée en compétence et d’innovation permet non seulement de répondre aux aspirations personnelles des collaborateurs, mais aussi de les préparer aux défis futurs de l’entreprise. Cela inclut l’accès à des formations spécialisées, des conférences, des workshops et des projets de recherche et développement.

« Pour anticiper les besoins futurs en compétences, il est essentiel de surveiller les tendances du secteur, d’investir dans la formation continue, et de maintenir une communication étroite avec les équipes pour identifier les compétences émergentes » précise Nathaniel Philipe. « Je crois beaucoup au “couple RH-Manager” et à la capacité des équipes RH d’être sur le terrain pour bien comprendre la réalité du métier et créer cette proximité. La veille technologique et les partenariats avec des instituts de formation peuvent également être utiles. »

Privilégier les collaborateurs partageant la culture d’entreprise

Enfin, un collaborateur dont les ambitions et les valeurs ne sont plus en adéquation avec celles de l’entreprise peut devenir un frein à sa croissance et à sa dynamique d’innovation, mais encore faut-il les identifier. La transparence dans la communication des objectifs de l’entreprise et la participation des employés à la prise de décision renforcent leur sentiment d’appartenance et leur engagement à long terme.

« La rétention des collaborateurs est un arbitrage fin et une gestion des équilibres complexes à revoir régulièrement. [Il est notamment] nécessaire d’identifier les comportements toxiques notamment chez les managers qui restent la première source de motivation au départ des équipes » conclut Johann Guegan, CEO et fondateur de Skillink. « Et puis il y a la gestion des équilibres homme-femme, la diversité dans toutes ses dimensions sur laquelle il faut veiller. Une entreprise doit définir ses priorités stratégiques en matière de rétention de talents et échanger régulièrement avec ses équipes pour estimer précisément son risque de turn-over. »