Pour Time for the Planet, l’entrepreneuriat n’est pas antinomique avec le souhait de préserver un monde vivable

Entretien. Time for the Planet ne manque pas d’ambitions : la société vise une levée de 1 milliard d’euros et la création de 100 filiales responsables d’ici 2030. Le principe : tous les investisseurs qui souhaitent contribuer pourront se voir reverser des dividendes dès lors que les objectifs du Giec en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre seront atteints. Un modèle d’investissement d’un nouveau genre qu’Alliancy a creusé en interrogeant un des fondateurs : Arthur Auboeuf.

Arthur Auboeuf, co-fondateur de Time for the Planet.

Arthur Auboeuf, co-fondateur de Time for the Planet.

Alliancy. Qui êtes-vous ? Comment vous-est venue l’idée du projet ? 

Arthur Auboeuf. Nous sommes six entrepreneurs de longue date car nous avons tous monté des boîtes depuis au moins dix ans. Et nous en sommes arrivés à prendre conscience – un peu tardivement – de l’urgence climatique. Cela nous a mis une grande gifle et nous avons commencé à faire les petits gestes responsables du citoyen lambda comme acheter une trottinette, recycler ses déchets… mais avec le temps nous ne nous sentions pas très utiles.

Et dans le même temps, tout le monde est préoccupé par le climat mais personne n’a les outils pour avoir un impact à échelle mondiale. Nous avons donc tous arrêté nos activités professionnelles car elles entraient en dissonance cognitive avec notre conscience écologique.

Néanmoins, nous n’avons pas décidé d’arrêter d’entreprendre car nous pensons que l’entrepreneuriat n’est pas antinomique avec le souhait de préserver un monde vivable. Les entreprises peuvent être une solution pour arriver à changer nos modes de vie à grande échelle. 

Vous avez levé un million d’euros fin 2020… À quoi vont servir les fonds ? Des plans de recrutement ? Des perspectives à l’étranger ?

Arthur Auboeuf. Nous sommes très fiers d’avoir réussi à lever ce million d’euros en crowdfunding. Nous sommes aujourd’hui à 8 millions d’euros d’engagement et l’objectif serait d’atteindre 10 millions cette année. En 2022, nous nous étendons à l’international comme en Italie, où des gens bénévoles ont souhaité nous aider à faire connaître l’initiative. 

Pour le recrutement, il faut savoir que les 6 co-fondateurs dont je fais partie sont encore bénévoles. Nous réfléchirons à devenir salariés une fois les 10 millions d’euros atteints. En attendant, nous avons déjà un employé qui travaille sur des vidéos pour faire connaître le projet, une autre qui s’occupe entre autres de répondre aux multiples sollicitations pour nous rencontrer et enfin nous allons recruter deux directrices “grands investisseurs” pour obtenir plus de fonds.

Quels sont vos objectifs ?

Arthur Auboeuf. Chez Time for the Planet, nous investissons au moment le plus risqué et l’ambition est d’atteindre 1 milliard d’investissements d’ici 2030. Nous souhaitons structurer un mouvement où tout le monde peut devenir actionnaire avec seulement un euro en poche. Il faut bien comprendre qu’aujourd’hui, une innovation locale est critique car peu de gens sont présents pour investir. Il peut y avoir des business angels qui mettent 2 millions au début d’un projet sans que la scalabilité ne soit assurée. De notre côté, nous misons sur le potentiel du génie humain et de l’intelligence collective qui permettra d’adresser des problèmes que nous ne pourrons pas régler tout seuls.

Le deuxième objectif est de créer 100 entreprises responsables qui acceptent de partager leurs innovations en open source afin que n’importe qui puisse les dupliquer commercialement. La seule contrepartie pour une entreprise qui a obtenu une licence libre, c’est de nous repartager à son tour toutes les améliorations faites. Il est primordial d’accélérer l’expansion de l’innovation en partage ouvert. C’est un peu le modèle imaginé par Elon Musk avec ses superchargeurs : il a investi tout seul et a partagé ses recherches en open-source pour que les constructeurs automobiles s’en emparent. 

Le troisième point important est que Time for the Planet est une société commerciale à but non lucratif. Nous souhaitons enlever la case cerveau “cupidité” de nos actionnaires et cela nécessite de rappeler que le but n’est pas de gagner de l’argent. Nous voulons que tout le monde s’aligne à nos principes pour maximiser l’impact. Chez nous, il n’y a donc pas de ROI et tout l’argent issu de la rentabilité de nos entreprises est réinvesti à 100% dans la création de nouvelles entreprises. 

Nous avons introduit un nouveau produit financier : le “dividende climatique”. Cela signifie que le reversement de dividendes ne sera réalisé qu’une fois que les objectifs du GIEC en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre seront atteints. Vous imaginez bien que le retour sur investissement ne sera pas effectif de si tôt et cela permet de garantir que les meilleures innovations ne servent pas des intérêts purement privés. Les investisseurs s’impliquent dans notre projet et en deviennent des ambassadeurs. 

Comment s’assurer que l’innovation soit vraiment mise au service du climat ?

Arthur Auboeuf. Nous avons d’abord rencontré plusieurs scientifiques pour nous aider à formuler des indicateurs de performance environnementaux. J’ai par exemple adoré prendre un café avec Jean Jouzel, l’ex-vice-président du GIEC, qui a annoncé récemment son soutien à l’initiative. 

Les scientifiques parlent beaucoup des problèmes liés au réchauffement mais qu’en est-il des solutions ? Pour atteindre la sobriété, l’innovation est une des voies mais si c’est pour développer des jet pack photovoltaïques, ce n’est pas durable. Nous proposons plutôt de lever des fonds massivement pour créer des solutions d’échelle.

Un des grands défis qui pourra être adressé est celui du stockage de l’énergie car aujourd’hui l’intermittence des énergies renouvelables les rend incapables de prendre le relais. Il n’existe pas encore d’alternative car les matériaux et ressources nécessaires dépendent encore trop des énergies fossiles. 

Tous les scientifiques partagent notre vision et pensent que l’innovation n’est pas un bonus mais une condition. Les comportements personnels vont mettre trop de temps à changer donc l’innovation est importante pour faire avancer les choses.  

Ensuite, nous sommes allés voir des innovateurs avec des solutions qui peuvent changer la donne au niveau mondial. Mais trop souvent, il est difficile pour les scientifiques et chercheurs de passer à l’échelle car ils ne sont pas eux-mêmes entrepreneurs. Ils ne savent pas par où commencer et c’est en ce sens que Time for the Planet a été créée, pour faciliter la création de ces entreprises tout en se chargeant de la relation avec les investisseurs.

Comment faites-vous pour choisir les entreprises que vous accompagnez ?

Arthur Auboeuf. Il y a 4 phases de sélection des innovations. Tout d’abord, des évaluateurs les passent au crible et attribuent des notes. Ce comité d’évaluation est constitué à 60% de profils de scientifiques et d’ingénieurs, même si en théorie tout le monde peut en faire partie. Ensuite, un top 10 des innovations est consulté par un comité scientifique qui attribue par consensus une autre note en fonction de la pertinence du projet (pas de bullshit !) et de sa capacité de passage à l’échelle. 

La troisième étape consiste à tester la réalité économique de chaque innovation. Concrètement, nous demandons à nos entrepreneurs d’aller sur le terrain pour vendre leurs solutions aux industries ou toute autre organisation intéressée. Si nous constatons que l’innovation mord, nous décidons de signer dans la foulée pour rendre l’entreprise opérationnelle rapidement. 

Enfin, la dernière étape est le vote en assemblée générale qui permet de valider le déblocage des investissements pour le compte d’une entreprise. Nous avons par exemple validé le 26 juin dernier l’investissement de 5 millions d’euros pour deux innovations approuvées par nos comités. 

Quels sont les freins principaux à votre initiative ? Les réfractaires à l’open source ? La concurrence à l’international ?

Arthur Auboeuf. Quand une innovation est cloisonnée par un brevet, elle est vouée à l’échec car ce n’est pas la bonne solution qui réussit, c’est celle qui est la plus maline, celle qui réussit à développer des partenariats stratégiques. Aux débuts du web, beaucoup de plateformes se sont développées pour prendre le lead. Mais la réalité c’est que celles qui ont préféré le modèle open-source sont les seules à avoir cartonné.

Pour ce qui est du sujet de la concurrence, il n’existe pas à mon sens de souveraineté ou de chauvinisme dans la lutte climatique. Le seul risque c’est de se retrouver sur une Planete invivable. Si le changement vient des Etats-Unis ou bien de la Chine, si nos concurrents deviennent meilleurs que nous, peu importe… Il faudra de toute façon miser sur l’intelligence collective dans le monde. 

Si de grands acteurs deviennent monstrueusement gros dans le domaine – à l’image de Google dans le numérique par exemple – ce n’est pas non plus un problème. Ces géants peuvent tabasser les gaz à effet de serre et il faut simplement rester hyper exigeant vis-à-vis de leurs innovations en ce sens. Une fois le greenwashing dépassé, ces grands acteurs vont renforcer l’impact de notre paradigme et nous rendrons nos investisseurs heureux.

Comment faire pour éviter tout greenwashing basé sur un solutionnisme technologique à outrance ?

Arthur Auboeuf. Il faut un certain nombre de critères et une vision systémique. Il y a par exemple une sorte de dissonance qui pousse de nombreuses industries – notamment automobiles – à foncer sur l’électrique, alors même que les solutions de stockage ne sont pas encore au point. Une chose est sûre : nous n’allons pas garder nos modes de vie actuels et celui qui vous promet qu’on peut faire mieux qu’avant avec moins est sûrement un menteur. 

Mais il faut quand même avancer et il n’existe à mon sens pas de bonne direction. Nous allons sans aucun doute faire des erreurs et l’essentiel est de tester pour identifier la fausse piste le plus vite possible. Il y a aussi des risques d’effet rebond, mais cela reste sûrement pire de ne rien faire.