Intelligence artificielle générative : les entreprises peuvent-elles dépasser une stratégie centrée sur la productivité ?

Diner Alliancy Connect du 27 septembre (cc : Alliancy)

Réunis devant la communauté Alliancy Connect, mercredi 27 septembre, plusieurs spécialistes de l’intelligence artificielle, des RH, de l’innovation et de la prospective, ont évoqué la nécessité pour les entreprises d’investir le sujet « IAG » tout prenant conscience des conséquences qu’auront certains de leurs choix. 

Qu’est-ce qui a changé entre la « vague IA » de 2017 et celle que nous vivons aujourd’hui avec l’intelligence artificielle générative (IAG) ? “Dorénavant, l’IAG arrive dans les entreprises par la poche des employés” observe Amélie Cordier, chercheuse et consultante en intelligence artificielle. Elle met en lumière un changement dans l’approche qu’ont les entreprises avec les solutions d’IA. “Avant, l’IA arrivait pour résoudre des problèmes identifiés”, souligne-t-elle. La bascule liée à la démocratisation des IA génératives auprès du grand public change la donne et rend essentiel de pouvoir tenir un discours clair vis-à-vis des équipes sur ce qui va être fait de ces technologies.

Un buzz utile pour convaincre 

“Chez Vinci, on a cherché avant tout des problématiques liées à la productivité du groupe”, indique Bruno Daunay, AI lead au sein de Léonard, la plate-forme d’innovation et de prospective du groupe Vinci. “Une fois qu’on a montré que c’était rentable pour certaines entités, on s’est posé la question d’aller plus loin au niveau du groupe”. Cela faisait en fait plusieurs années que Bruno Daunay, chargé d’introduire en 2017 l’IA dans l’organisation, tentait de convaincre en interne de l’intérêt de certains cas d’usages. Le buzz actuel lui facilite la tâche : “La démocratisation de ces solutions m’a fait gagner du temps. Aujourd’hui, tous les employés sont convaincus de l’utilité des IAG parce qu’ils ont vu par eux-mêmes que ça marchait. Maintenant, mon problème est différent : je dois tuer certains projets parce que tout le monde en lance dans tous les sens”. 

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Si tout le monde se sent plus concerné, les approches et les réactions diffèrent, notamment autour de la question RH. Jérôme Lamri est CEO et co-fondateur de Tomorrow Theory, un studio spécialisé sur les sujets d’innovation et de technologies en lien avec les RH. “Je parle aux RH, aux Comex de grandes organisations et aux patrons de petites boîtes”, explique-t-il durant la table ronde organisée devant la communauté Alliancy Connect et des spécialistes des sujets d’IAG. “Le petit entrepreneur voit comment gagner du temps et souhaite avoir sa solution le lendemain, contrairement aux RH qui mettent beaucoup plus de temps pour que souvent rien n’accouche. Au niveau des Comex, les dirigeants cherchent à mettre en place des stratégies pour apporter de la valeur, mais ils se posent beaucoup de question sur les impacts”. 

Le risque de la défiance 

OVHcloud a pu constater l’évolution des perceptions et de la maturité sur le sujet. “En souhaitant montrer la rentabilité de ces solutions, nous avons acquis de l’expérience et de la connaissance”, indique Alexis Gendronneau, CDO de l’entreprise française. “Mais maintenant, nous avons vraiment envie de proposer des IAG responsables, en lien avec les valeurs de notre entreprise”. Le collectif Impact AI veut également promouvoir ce type d’usages. Cela parait d’autant plus important que les attentes chez les collaborateurs sont très fortes. Roxana Rugina, directrice exécutive du collectif, a observé dans le dernier baromètre de l’association, une baisse de la confiance des utilisateurs : “Bien que 80% des salariés aient une image positive des IAG dès qu’ils en ont utilisé une, on observe une baisse de confiance de 7 points par rapport aux années précédentes”. Le paradoxe est notable : plus un collaborateur est amené à utiliser l’IAG, plus il devient exigeant et attentif à la question de la confiance. Les entreprises n’ont donc d’autres choix que de se donner les moyens de répondre à ces attentes.

Or, avec l’accès rapide et gratuit notamment à un outil comme ChatGPT, certains salariés se sont mis à utiliser ces solutions sans que leurs entreprises n’aient décidé d’une politique sur ce sujet. “Chez Vinci, nous n’avons pas de politique, c’est assumé”, indique Bruno Daunay. “J’explique aux gens ce que permet cette solution et ensuite, si ça leur permet de mieux travailler, ils l’utilisent. Je dois leur explique le coût, souvent camouflé, que représente certains usages qu’ils imaginent. Est-ce que cela en vaut vraiment la peine ? Et certains apprennent à leur dépend les problèmes que cela peut engendrer, par exemple quand une erreur sur un contrat généré avec ChatGPT entraine des pénalités financières très concrètes”.

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Du côté d’OVHcloud, “Chez nous, c’est non !”, lance Alexis Gendronneau. “Un non clair et définitif ! À tous les niveaux, c’est une interdiction formelle parce qu’on prendrait le risque de pousser des données confidentielles à des potentiels concurrent”. Le chief data officer insiste aussi sur la prise de conscience nécessaire à tous les niveaux : « Il ne faut pas qu’ils oublient que malgré les apparences, ces outils donnent des résultats qui ont l’air vrai, mais qui sont avant tout « probable », pas plus. Il ne s’agit pas d’un système expert qui donne une vérité, prouvée scientifiquement ». Le spécialiste note aussi que l’attention de plus en plus porté sur les enjeux de responsabilité, de confiance, de souveraineté, par les dirigeants et les collaborateurs, implique de ne pas sous-estimer les problématiques de moyen termes qui arrivent. Il appelle notamment à une forte montée en puissance des alternatives open-source.

Les dirigeants ont un choix à faire

En particulier, l’arrivée rapide de ces solutions au sein des entreprises laisse place à la tentation de remplacer de nombreuses missions faites par des humains. “Certains managers ont essayé ChatGPT, ont trouvé ça super et se sont dit : ‘Ce que mon junior fait en une semaine, je le fais en 2h’”, relate Jérôme Lamri. “C’est une tendance que je vois partout parce qu’ils n’ont pas le temps de former un junior à faire ses missions plus vite. Mais si on compare un junior à une IA, il peut prendre peur. Et si on donne à faire à l’IAG ses tâches, il ne deviendra peut-être jamais un senior. Réfléchir uniquement en termes de productivité, c’est prendre le risque à terme qu’il n’y ait bientôt plus de leaders dans les entreprises”. La chercheuse Amélie Cordier ajoute : “Je comprends ce focus actuel sur la productivité, mais je ne l’accepte pas. Ces modèles ne sont pas soutenables à moyen terme. Quel est le monde qu’on prépare si on ne sait plus former des gens capables de raisonner et qu’on s’appuie uniquement sur ces modèles d’IA ?”.

Alexis Gendronneau, le CDO d’OVHcloud, souhaite lui-aussi que ce message soit entendu par les dirigeants. “Quand on choisit de baser une stratégie sur un acteur ou un autre, sur la productivé ou sur une vision plus globale, on vote, on fait un choix !”, lance-t-il. « C’est le choix qu’il faut faire aujourd’hui. En tant que dirigeant, nous avons tous une responsabilité”.

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« Si l’on est capable d’un point de vue scientifique de produire une solution souveraine, ce sera évidemment un grand oui ! Mais si on veut donner de la place à ces alternatives, il faut faire le choix maintenant et pas demain”, insiste Amélie Cordier. Ces défis autour de ces solutions d’intelligence artificielle générative pousse donc à «  ne pas se demander s’il faut y aller, mais plutôt comment”, conclut Alexis Gendronneau devant la communauté Alliancy Connect.