Karine Vernier (EIT InnoEnergy) : « L’Europe aura besoin de 800 000 personnes dans l’industrie de la batterie »

La Commission Européenne vient d’annoncer un financement de 10 millions d’euros à l’attention de l’European Battery Academy, une initiative de l’EIT InnoEnergy, l’Institut Européen d’Innovation et de Technologie (EIT) dédié à l’innovation pour l’énergie durable en Europe. Karine Vernier, directrice France, partage pour Alliancy la nécessité pour l’Europe d’accompagner la montée en compétences de plus de 800 000 salariés spécialisés sur la chaîne de valeur des batteries électriques.

Karine Vernier, directrice France de l'EIT InnoEnergy / Crédits : Christophe Levet.

Karine Vernier, directrice France de l’EIT InnoEnergy / Crédits : Christophe Levet.

Alliancy. Quel était l’objectif de l’UE en 2010 avec la création de l’EIT InnoEnergy ? La structure a-t-elle évolué dans ses missions ?

À l’origine, la création de notre structure par l’Institut européen d’Innovation répondait aux objectifs de développer de l’innovation dans le domaine de l’énergie et poursuivre ensuite l’industrialisation des solutions explorées. Le troisième pilier transverse et tout aussi important : l’éducation. Nous ne pouvons pas faire d’innovation sans prévoir de formations académique et professionnelle en accompagnement.

Nous avons donc engagé de nombreux partenariats public-privé entre d’un côté de grands acteurs de l’énergie comme EDF, ENGIE, Total, SCHNEIDER, Capgemini, et récemment IDEC et SIPLEC et de l’autre, des universités et centres de recherche comme le CEA (Commissariat à l’énergie atomique) ou l’Ecole Polytechnique de Grenoble.

L’EIT InnoEnergy s’investit dans les domaines du stockage d’énergie, de la mobilité, des énergies renouvelables et du bâtiment durable… Lesquels ont pris le plus d’importance ces dernières années ?

Il y a trois domaines d’actions qui sont devenus plus visibles : le stockage de l’énergie avec les batteries électriques, l’hydrogène décarboné et le photovoltaïque. Ces secteurs sont très importants pour nous en matière d’investissements et d’industrialisation, à l’image des fabricants de batteries Northvolt (Suède) et Verkor (Grenoble) dont nous avons été primo investisseurs mais également à l’image des alliances européennes que nous animons.

Ces alliances européennes permettent de fédérer les représentants de toute la chaîne de valeur, du sourcing des matériaux au recyclage. Nous animons l’European Battery Alliance (EBA), l’European Green Hydrogen Acceleration Center (EGHAC) et l’European Solar Initiative (ESI) qui rassemblent et mobilisent les écosystèmes européens pour arriver à booster l’industrialisation et la compétitivité de l’Europe sur ces secteurs d’avenir.

Vous avez annoncé avoir investi 560 millions d’euros dans 500 innovations qui ont permis d’économiser 5,5 millions de tonnes de CO2… Est-ce que ces fonds sont exclusivement européens ? Quelle part est occupée par le financement privé ?

Au début, la Commission européenne finançait à 100 % notre structure. Puis, elle a acté qu’à partir d’un certain moment, le taux de financement baisserait pour que le monde industriel privé reprenne petit à petit la main. Nous sommes aujourd’hui au point de bascule où ce taux décroît chaque année et de nouveaux actionnaires entrent au capital au sein de l’EIT InnoEnergy.

En complément, lorsque les start-ups de notre portefeuille arrivent à maturité, nous décidons de vendre nos parts pour les allouer au développement de nouvelles jeunes pousses, et ainsi de suite. Cela permet d’autofinancer de nouveaux projets en « early stage ».

En complément, la Commission européenne accorde 10 millions d’euros à l’EIT InnoEnergy pour l’EBA Battery Academy afin de combler le déficit croissant de compétences dans la chaîne de valeur des batteries. Lancée en 2021, l’EBA Battery Academy est une initiative phare conçue pour former et assurer la montée en compétences des salariés sur la chaîne de valeur européenne des batteries afin de rester à l’avant-garde dans le secteur de l’e-mobilité.

La Chine totalise la moitié des ventes mondiales de voitures électriques et comptabilise deux-tiers des capacités mondiales de production de cellules. De son côté, l’Europe ne représente que 1 % de la production mondiale… Est-ce que vous pensez dans ce contexte arriver à produire une batterie européenne moins chère que la batterie asiatique ?

J’en suis convaincue et c’est bien l’objectif de l’Alliance européenne de la batterie, lancée en 2017. Nous sommes partis du constat qu’il n’y avait aucune capacité de production de cellules de batterie en Europe. Et à l’époque, la question posée était de savoir si le projet en valait la peine étant donné les positions déjà acquises de l’Asie en la matière.

Cinq ans plus tard, tout a changé et le jeu est loin d’être perdu d’avance : l’Europe fait preuve d’un taux de pénétration de voitures électriques supérieur à celui de l’Asie. Nous disposons désormais de plus de gigafactories. Il y a aussi des pistes explorées sur la question de l’extraction de matières premières – comme le financement de projets de mines d’extraction de lithium.

L’Europe est en forte capacité de produire de façon compétitive sur son territoire car nous avons la chance de pouvoir regrouper autour d’une même table tous les acteurs intéressés par la production de voitures électriques, des constructeurs automobiles aux acteurs de la finance.

Le plus grand défi à surmonter reste celui de l’extraction et du recyclage mais l’Europe est en voie de devenir très forte dans ces domaines. À ce titre, la start-up Northvolt a réussi à créer une batterie électrique entièrement recyclable ; nous avons également investi dans d’autres pépites très prometteuses, comme Mecaware par exemple.

Il y a un enjeu pour l’Europe de souveraineté face aux crises, de redevenir maître de son énergie car c’est le moteur de l’industrie. Le deuxième enjeu est celui de la réduction des émissions de CO2 ; la boucle est vertueuse car plus on produit localement moins on émet. La feuille de route « Fit for 55 » proposée par la Commission européenne pendant l’été 2021 a d’ailleurs renforcé les ambitions un objectif fixé d’ici 2030 de réduction de 55 % des émissions carbone.

L’interdiction par la Commission européenne de la vente des voitures thermiques dès 2035 est-elle une bonne chose ?

Les directives européennes sont fondamentales car elles nous donnent tous des axes de développement stratégiques. Sur les logiques de coopération, il faut faire en sorte que l’intérêt général soit défendu et que la création d’innovations soit synonyme d’opportunités et non de contraintes.

Trouver des solutions n’est pas que de l’ordre technologique, cela peut aussi être l’invention de modèles d’affaires plus transparents dans lesquels tous les acteurs de la chaîne de valeur sont impliqués. Il faut faire preuve d’une certaine agilité mentale pour créer un modèle de coopération vertueux.

Prenons l’exemple de l’acier vert produit à base d’hydrogène décarboné dans le cadre du projet suédois H2 Green Steel, soutenu par EIT InnoEnergy : demain l’acier vert sera probablement moins cher que l’acier carboné grâce aux taxations du carbone. Le modèle aujourd’hui repose sur la capacité du marché aval à accepter un premium. L’impact sur le coût final d’un véhicule fabriqué à partir d’acier décarboné est évalué entre 200 à 400 euros par véhicule

De notre côté, l’objectif est d’anticiper et d’agir sur les énergies d’avenir et les secteurs industriels les plus émetteurs L’initiative peut être rapide. C’est d’ailleurs le cas de la production de batteries en France avec la start-up Verkor qui en un an a réussi à lever 100 millions d’euros et vient d’annoncer le site de construction de sa gigafactory.

Comment les écosystèmes industriels européens peuvent répondre à la pénurie de talents dans ces secteurs stratégiques et d’avenir ?

Nous disposons aujourd’hui d’un véritable hub de la batterie européenne. Maintenant la difficulté est de faire travailler des gens dans toutes ces gigafactories. L’Europe aura besoin de 800 000 personnes pour répondre aux besoins de l’industrie de la batterie. Nous avons donc été mandatés pour trouver une solution rapide, efficace et compétitive. Nous disposons déjà de formations conçues avec nos universités partenaires pour le compte d’industriels. C’est ce qui constitue le socle de notre plateforme pour l’Académie européenne de la batterie.

Nous nous appuyons ensuite sur les organismes de formation en Europe pour délivrer les formations et former les nouveaux salariés spécialisés dans l’industrie de la batterie électrique. Nous travaillons déjà avec 3 organismes en France : Apave, IFP Training et CRIIT M2A. L’idée étant de s’inspirer de l’open innovation pour faire de l’open formation. Les 10 millions d’euros serviront d’une part à mettre en place une plateforme accessible à tous les organismes de formation en Europe qui souhaitent s’emparer des formations pour adapter leurs programmes, et d’autre part à créer de nouveaux contenus répondant aux besoins croissants de l’industrie

Les formations sont adaptées à toutes les personnes en emploi et pour tous les niveaux, des ingénieurs généralistes aux spécialistes de l’électronique de puissance. Certains programmes sont encore en cours de développement mais nous pouvons dès à présent former les salariés pour faire face aux premiers besoins des gigafactories. Notre objectif est aussi de pouvoir former les salariés afin qu’ils puissent s’adapter au changement de leur métier.