Cloud : Veolia veut passer un nouveau cap pour accompagner son plan stratégique

Cet article est issu de notre Carnet à télécharger  A quoi devront ressembler vos clouds en 2025 ?

Veolia, bien connu pour avoir pris très tôt et de manière marquée le tournant du cloud public, souhaite maintenant passer un nouveau cap technologique pour accompagner son plan stratégique 2024-2027. Dans ce cadre, Pascal Dalla Torre, deputy group chief information officer de l’entreprise, détaille les priorités en matière de cloud pour la DSI.

Pascal Dalla Torre, deputy group chief information officer de

Pascal Dalla Torre, deputy group chief information officer de

Alliancy : Comment résumeriez-vous la philosophie de Veolia en matière de cloud ?

Pascal Dalla Torre : Le virage vers le cloud chez Veolia a été motivé dès le départ, en se disant qu’on n’était pas une boîte « tech », comme des sociétés type Google ou Amazon et que l’on ferait toujours moins bien techniquement et en termes de sécurité que des spécialistes sur les couches physiques du numérique. C’est ce qui a toujours motivé d’aller chercher le plus possible d’outils cloud natifs intéressants, avec le bon ratio coût-valeur. La période 2016-2018 a été décisive pour basculer tous les workloads on-premise vers le cloud.

On a pu le faire rapidement parce que l’on arrivait à cocher de nombreuses cases. On a dans un premier temps fait du « lift & shift », avec AWS sur le volet IaaS pur, et avec GCP sur la partie PaaS, développement et gestion de la data. Nous avons également pris le parti de consommer le plus possible de services SaaS qui existent sur étagère, tels que des outils RH, finance ou encore achats. Le changement a aussi été notable parce que nous avions un fort angle d’attaque sur l’expérience employé, avec la suite collaborative Google. Notre philosophie était d’être SATAWAD (Secure Anytime Anywhere Any device), avec l’idée que l’utilisateur puisse utiliser un seul navigateur pour accéder à tout. Ma conviction, c’est d’ailleurs que dans un monde idéal, le réseau de l’entreprise devrait être tout simplement Internet.

Le résultat de cette philosophie, c’est que nous atteignons aujourd’hui un niveau de cloudification d’environ 70 % sur le périmètre historique de Veolia (en n’intégrant pas Suez, NDLR). Nous sommes par exemple à plus de 30 000 Chromebooks déployés dans le monde. En parallèle de cette cloudification, nous poussons toujours à construire un système d’information qui soit le plus modulaire possible. La multiplication des tensions géopolitiques fait qu’il est impossible de savoir quels seront les meilleurs partenaires dans les cinq ou dix ans à venir. Donc, il faut pouvoir au maximum détourer les composants du système d’information, sans impact sur le fonctionnement de l’ensemble. Cela veut dire être « API first », même si l’on ne peut pas être « API always ». Aller consommer juste le service qu’il nous faut, plutôt que tout un bloc, c’est très précieux et c’est aussi un aspect fort de notre philosophie cloud.

Si vous vous projetez dans les prochaines années, quel vous paraît être le plus grand défi ?

Bannière 600x500 - Tsystems 1Le premier challenge très prosaïque vient de la fusion avec Suez, dont le taux de cloudification n’est pas le même que celui de Veolia. Il faut donc harmoniser les deux mondes par le haut. Mais au-delà de cette question, il convient de regarder notre plan stratégique 2024-2027 : Inspire. Il met la décarbonation au cœur de nos enjeux. À mon niveau, cela veut dire que je veux engager une transformation massive des applications que nous utilisons. Nous avons jusqu’à présent assumé une logique « lift & shift », avec des millions d’euros consommés en IaaS chaque année, mais cela ne doit être qu’une étape. Ce n’est pas la cible, et il ne faut surtout pas que l’on s’endorme sur cette part de la cloudification, qui continue à grandir chaque année. Nous devons donc enchaîner vers une transformation profonde des applications, y compris les plus importantes, comme l’ERP, le customer information system, la gestion de la trésorerie… Si l’on ne s’attaque pas à cela de façon ambitieuse, nous allons vite rencontrer un plafond de verre, et n’être pas au rendez-vous en termes de frugalité des services numériques.

Comment faire ?

Il est nécessaire de rentrer dans des programmes exigeants, qui vont sans doute durer plusieurs années, avec toutes les business units,  pour transformer en profondeur des applications majeures. Souvent celles-ci sont au cœur de l’activité et sont critiques ; mais si l’on veut casser le plafond de verre et aller vers les vrais avantages du cloud à terme, en consommant les services managés de façon plus large, il faudra en passer par là. C’est bien la transformation de notre patrimoine numérique qui fera la différence pour l’entreprise.

Toutefois on ne modernise pas seulement pour moderniser. Cette évolution est nécessaire pour mieux amener l’intelligence artificielle au cœur de tous nos métiers. C’est en effet le contexte global de l’entreprise d’un point de vue technologique qui va compter pour que cela réussisse. À ce sujet, la clé reste comme toujours la démocratisation des usages. L’intelligence artificielle n’est pas une révolution en soi, les différents modèles de “machine learning” existent depuis plusieurs années et sont utilisés dans l’entreprise au cœur de nos activités métiers… Tout le monde parle de l’IA générative aujourd’hui car le particulier y est exposé directement. Mais pour nous, la question est plutôt : quel est l’usage crédible pour le cœur de nos activités ?

Vous avez des pistes en la matière ?

Nous regardons par exemple les modèles de dérivation des consommations énergétiques de nos usines, qui nous permettent d’identifier les actifs qui génèrent des glissements dans leur fonctionnement. On pourrait imaginer générer directement avec l’IAG les « work orders » pour mener les interventions et générer les rapports attenants plus facilement. De même, nous pourrions ainsi intervenir de façon beaucoup plus précise sur les fuites d’eau localisées, plutôt que de faire des grandes opérations, afin de gagner du temps et en efficacité.

Quels sont vos besoins en termes de compétences pour préparer cet avenir technologique « cloud » ? Et la culture de vos équipes doit-elle encore évoluer ?

La question s’est posée dès 2017. Nous avions alors de nombreux administrateurs Windows, administrateurs de base de données… qui se sont inquiétés. Mais en abordant le sujet dès le départ, nous avons pu voir des histoires merveilleuses. Il y a eu des remises en question dans ces métiers et ils sont devenus des architectes cloud, des leads techniques, etc. Certains parcours ont vraiment été inspirants, avec des personnes qui ont été moteurs de transformation. On aura toujours besoin de ces profils-là. Nous allons devoir être solides et ambitieux sur l’architecture dans le cloud par exemple, c’est évident. Le marché de l’emploi est tendu pour tous les profils cloud, mais toutes les entreprises sont confrontées à ce problème, donc il faut faire avec.

Cependant, cet épisode a surtout concerné le « lift & shift » en back-office. L’impact sur les métiers était plus mesuré. Beaucoup n’ont pas vu la situation changer fortement pour eux il y a cinq ans. Avec l’ambition de modernisation des applications comme suite logique de notre stratégie cloud, ce sont dorénavant les couches fonctionnelles qui vont être concernées. Et le virage va être beaucoup plus marqué pour les métiers. Le plus délicat, c’est d’adresser le cœur des opérations, avec un besoin d’experts métier qui viennent du terrain, mais qui ont aussi une vision numérique fine. C’est un travail complexe en termes de politique RH. Et il va également être nécessaire de se poser la question des processus de l’entreprise dans le détail.

Qu’est-ce que cela implique exactement ?

Chaque entreprise a tendance à se dire qu’elle est unique en termes de processus, y compris sur des sujets transverses comme la finance ou la relation client. Pourtant, plus on standardise, mieux ce sera. Pour y parvenir, il faudrait donc sans doute se reposer la question en mode « greenfield » sur les processus : est-ce qu’il faut vraiment de la customisation sur tel et tel sujet ?  Cela implique d’aller chercher les métiers plus fortement et de collaborer avec eux pour répondre sérieusement à cette interrogation. L’avantage, c’est que par rapport à 2017, les gens sont plus au fait des tenants et aboutissants autour du cloud par exemple. Et nous avons plus de profils hybrides, techniques et fonctionnels, qui peuvent voir les logiques inhérentes aux deux univers.

De manière générale, je pense que nous avons réussi à mettre en œuvre une bonne relation IT-métier dans l’entreprise. Dans les équipes, nous avons des personnes capables de bien faire le pont entre les deux mondes, mais surtout autour du support. Il reste d’autres partenaires à développer davantage , notamment sur la partie business et performance. Il faudrait sans doute renforcer les interactions avec les BU sur le terrain pour construire des solutions digitales pertinentes, faire plus de croissance, maîtriser les coûts, augmenter la productivité… Le développement continu du digital dans l’entreprise ne suffit pas en soi. Il faut qu’il soit accompagné, notamment avec les équipes commerciales.

La fusion avec Suez a-t-elle un impact à ce niveau ?

L’intégration Veolia-Suez au niveau du siège est maintenant terminée. Mais intégrer des cultures d’entreprises différentes, cela prend du temps. La fusion amène par ailleurs de profondes phases de migrations techniques. Ce sont des moments qui peuvent être décisifs dans la vie d’une entreprise. Notre directrice générale et notre CFO groupe l’ont bien compris et continuent d’affirmer que l’adoption et la continuité de notre philosophie cloud étaient non négociables. Avoir de tels sponsors, c’est très facilitant pour une DSI ! C’est aussi ce qui permet d’aller chercher maintenant des gains significatifs supplémentaires, car nous avons mis en place tout au début du Cloud, une approche FinOps et le GreenOps, de manière à avoir une consommation raisonnée de nos services numériques