Pour survivre face à l’IA générative, les développeurs juniors devront gagner en polyvalence 

[L’analyse] Alors que les capacités de l’IA générative dans le codage ne font que croître, certaines missions réservées aux juniors peuvent déjà être remplacées par la technologie. Pour pérenniser ces postes, passage obligatoire pour prendre de l’expérience, les entreprises se doivent d’investir dans la formation. 

C’était au mois de février dernier au World Government Summit 2024, Jensen Huang, PDG de Nvidia, concepteur de GPU, indiquait : « Notre rôle réside dans le fait que personne n’ait plus besoin de programmer ». « On n’en est pas là », indique Yann Foissac, directeur associé, en charge de l’innovation au sein de l’ESN Business at Work, qui juge malgré tout qu’il existe un risque pour le rôle de développeur exécutant, dans les cinq prochaines années. En effet, sur la réécriture, la correction de bugs, ou l’aide sur certains langages, les compétences de l’intelligence artificielle générative (IAG) s’agrandissent de jour en jour. « Grâce aux IAG, un junior peut potentiellement faire le même boulot qu’un senior », assure Jérémy Lamri, CEO de Tomorrow Theory, studio d’innovation en ressources humaines. 

Une assistance, mais pas sans failles 

Cette montée en compétences ne se traduit pas forcément par des gains de productivité chez les jeunes développeurs, selon Nicolas Blanc, secrétaire national pour la Transition économique au sein de la CFE-CGC. « L’IAG peut aider à l’acquisition de bonnes pratiques », assure-t-il, alors que certains outils intègrent directement ces règles, by design. « Plutôt que de se diriger vers un collègue, le débutant fait appel à l’IAG afin d’avoir une réponse rapide », estime Yann Foissac, directeur associé, en charge de l’innovation au sein de l’ESN Business at Work. Selon lui, cette technologie peut constituer une bonne assistance, un accélérateur important pour la croissance du développeur. 

Il estime néanmoins qu’un risque d’uniformisation existe et, par ricochet, une perte d’intérêt pour le métier. « Les juniors devront se focaliser sur les parties les plus complexes qui font appel à des compétences intellectuelles plus importantes », juge Nicolas Blanc. « D’aucune façon, une IAG est capable de faire passer un développeur débutant à senior seul », estime quant à lui Yann Foissac, directeur associé, en charge de l’innovation au sein de l’ESN Business at Work. Selon lui, elle ne peut pas créer d’illusion vis-à-vis de la visualisation ou de l’organisation du code. « Ce n’est pas magique », lance Yann Foissac. Elle n’élimine pas toutes les mauvaises approches ni les erreurs. Pourtant, face à l’IAG, certains jeunes peuvent prendre pour acquis la production qui leur est présentée. « Il faut faire l’effort de comprendre. On doit réfléchir, penser et analyser pour ne pas créer une dépendance qui impliquerait une perte d’autonomie », juge-t-il. 

En vue des compétences actuelles des technologies d’IA génératives, l’intervention de développeurs expérimentés reste nécessaire pour assurer la formation des moins qualifiés. « Cela fonctionne encore beaucoup par mimétisme et les interactions », rapporte Yann Foissac. Selon Nicolas Blanc, secrétaire national pour la Transition économique au sein de la CFE-CGC, la complémentarité entre l’humain et la technologie est clé : « La formation de base reste fondamentale, et l’outil reste un formidable moyen pour acquérir des compétences sur n’importe quel type de langage ». 

Et si l’IA remplaçait le développeur junior ? 

Bien qu’il estime qu’il soit encore nécessaire pour certains de poursuivre l’apprentissage du code, Yann Foissac juge également que l’IAG va remplacer les métiers des plus jeunes. « Celui qui ne fait que produire du code ne servira bientôt plus à grand-chose », ajoute-t-il. Selon lui, le code produit par l’IAG sera bien meilleur que celui de la grande majorité des développeurs. « Malheureusement, c’est inéluctable », regrette le directeur associé, en charge de l’innovation au sein de l’ESN Business at Work. Selon lui, c’est même près de la moitié des équipes de développement qui devraient disparaître dans moins d’une décennie. 

Mais selon Jérémy Lamri, CEO de Tomorrow Theory, la machine ne supprimera pas les postes débutants. « Les entreprises ont besoin de développeurs moins expérimentés. Ils constituent la pépinière pour les seniors, qui eux-mêmes constituent la pépinière des leaders », explique-t-il. « Ils sont la base de cette chaîne sans qui elle n’existerait pas ». Le passage par la case junior est inévitable. « Pour devenir senior, il faut passer par ces métiers qui sont des passerelles », assure le syndicaliste Nicolas Blanc. Pour cela, les entreprises vont continuer à confier des missions de codage aux moins expérimentés. « Les gens ont tendance à fantasmer. Ce n’est pas parce qu’une technologie peut effectuer un métier qu’on va supprimer tous les emplois. Sinon, il n’y aurait plus de caissières », compare Jérémy Lamri. 

Une transformation du métier 

Alors que la génération rapide de code par l’IAG pourrait remplacer les développeurs juniors, ces derniers vont voir leur rôle évoluer. « Ils vont être contraints de se renforcer dans l’interaction humaine et la relation avec les métiers », estime Yann Foissac de Business at Work. Le syndicaliste de la CFE-CGC, Nicolas Blanc, assure que la polyvalence va prendre une place importante, notamment sur les facultés des codeurs à jongler entre les différents langages. Mais il estime, lui aussi, que le renforcement des compétences métiers sera primordial : « Les gains de productivité peuvent être décuplés dans la mesure où les compétences métiers le sont, afin d’utiliser l’IAG dans sa pleine capacité ». Il prône la notion de complémentarité entre l’humain et la machine, qui fera indéniablement évoluer le rôle de développeur. 

Pour améliorer les compétences métiers et les intégrations humaines, Jérémy Lamri, spécialisé dans l’innovation des RH, observe plusieurs capacités à développer : structurer sa créativité, faire de la communication et savoir travailler en collaboration. « S’ils ont ces soft skills, ils pourront évoluer », juge-t-il. Mais désormais, avec l’IA, la production des jeunes n’est plus la même qu’il y a quelques années. Alors, les attentes des entreprises évoluent également. « Ils vont devoir délivrer de la valeur supérieure à ce qu’ils faisaient sans IA, ce qui va les obliger à réfléchir », estime-t-il. 

De la formation en continue 

Pour cela, les entreprises vont être contraintes d’accompagner les collaborateurs dans leur évolution de poste. Comment ? « Soit l’entreprise augmente la cadence grâce au temps gagné, mais les développeurs deviendront des ouvriers de l’IA, et il y aura une perte d’attractivité », assure Jérémy Lamri. « L’entreprise peut aussi décider de diminuer les effectifs en conséquence, ou d’apporter un avantage social en diminuant le temps de travail ». Mais selon lui, aucune de ces solutions n’est la bonne. « Prenons le cas d’un gain de temps de deux jours et demi par semaine, je vais pouvoir prendre du temps pour me former sur de nouvelles technologies ou sur des soft skills », explique-t-il. Le métier devient alors enrichi par de la formation et du développement. 

Avec l’accélération du numérique, la formation deviendra essentielle, et selon Jérémy Lamri, entrera dans le modèle économique des entreprises. « Elles n’auront pas le choix si elles ne veulent pas que les collaborateurs deviennent obsolètes », lance-t-il. Ce dernier estime que les dirigeants doivent observer l’évolution des métiers à long terme. « Il faut penser la tendance dans le temps », note-t-il, alors que selon lui, 80 % des métiers d’aujourd’hui auront évolué et n’existeront plus dans 20 ans. « Les gens pensent à demain avec les codes d’aujourd’hui ». 

Ils estiment que les développeurs deviendront alors des manipulateurs de systèmes d’expertises à travers l’IA ou la visualisation de données. « Ils assembleront des briques, créeront des applications sophistiquées, mais pour cela, ils devront comprendre le code », indique Jérémy Lamri. Mais qu’en sera-t-il à long terme ? « La technologie d’IAG a été créée pour nous copier. Tôt ou tard, elle s’en rapprochera », assure-t-il. « La science-fiction est de croire que c’est pour cette année ; la bêtise est de croire que ça n’arrivera jamais ». Le métier de développeur junior n’a donc pas fini d’évoluer pour continuer à constituer un passage obligatoire pour tous les développeurs.