Thierry Auger (Lagardère) « Face à l’évolution rapide des usages télécoms, il faut des réponses originales »

La nature internationale et décentralisée du groupe Lagardère fait qu’il est confronté à de nombreux défis IT et télécoms. Thierry Auger, deputy chief Information Officer et Chief Security Officer du groupe, donne son éclairage sur les changements que vit aujourd’hui son entreprise et ses priorités dans cette transformation.

Thierry Auger

Thierry Auger, deputy chief Information Officer et Chief Security Officer du groupe Lagardère 

Alliancy. Quel est votre périmètre de responsabilité au sein du groupe Lagardère ?

Thierry Auger. Le groupe est constitué de plus de 400 sociétés, partout dans le monde, autour de quatre grands métiers : l’édition, le Travel retail, les médias et le sport. Cela représente plus de 30 000 employés, avec une organisation très décentralisée. La direction des systèmes d’information du groupe gère les moyens communs partagés par une centaine de SI ramifiés par un réseau international. Nous avons notamment en charge, sous délégation de la Direction des Achats du Groupe, l’établissement des contrats avec les acteurs majeurs du marché IT, mais aussi la gestion du Risque SI, des applications centrales et de l’infrastructure. Par ailleurs, nous devons imaginer des réponses originales pour faire face à l’évolution rapide des usages télécoms de nos collaborateurs.

Par exemple ?

usage des telecoms Thierry Auger. Il y a beaucoup de spécificités liées à nos différents métiers. De manière générale, en tant que groupe média, nous sommes par exemple plus consommateurs de télécommunications et notamment de data que d’autres types d’entreprises. Nous avons également beaucoup de collaborateurs sur le terrain, qu’ils soient commerciaux, journalistes ou gestionnaires d’événements. Nous devons donc rester très vigilants sur les enjeux de couverture, de qualité de service et d’itinérance à l’international.

Plus spécifiquement, les journalistes ont besoins de modèles « inversés » : ils remontent du contenu massivement et en consomment peu. A partir de leur smartphone, ils doivent être à tout moment et en temps réel en capacité de transmettre du contenu à partir d’un théâtre d’activité. De ce fait, cela crée des décalages avec les propositions types des opérateurs qui ne sont parfois pas du tout adaptées à certains de ces usages. Nous arrivons alors à des fair-use bloqués, alors qu’il n’y a presque pas eu de consommation de data !

Ces changements sont-ils généralisés sur l’ensemble du groupe ?

Thierry Auger. Pour certains métiers, il n’y a pas eu de transformations lourdes et les usages restent assez traditionnels. Mais globalement, il y a quand même un changement généralisé ces dernières années : on a vu décroître massivement les usages « voix » traditionnels et donc les installations dans l’entreprise des systèmes et services PABX. Pour donner une idée de ce changement : en France, Lagardère est passé d’un modèle où en voix fixe, nous avions deux tiers des coûts en communications pour un tiers en abonnement, à un modèle où les communications représentent seulement un cinquième des coûts.
Il y a bien entendu un report massif vers les usages mobiles. Ces derniers s’avèrent eux-mêmes en pleine transformation car intégrés par les fournisseurs de socles collaboratifs communs, de type Microsoft Office 365, en déploiement actuellement au sein du Groupe. Ces acteurs bouleversent le marché… Microsoft a par exemple obtenu une licence d’opérateur en France en décembre 2016, et gère près de 30% des communications internationales par le biais de Skype.

Comment intégrez-vous dans l’entreprise ce passage à des communications basées sur les outils collaboratifs ?

Thierry Auger. Nous avons testé très tôt, en 2012, ces approches auprès de deux filiales. Il a fallu faire attention à ne pas pénaliser la qualité du service et les habitudes des utilisateurs finaux, notamment autour des équipements télécoms physiques traditionnels, mais au final et même s’il est clair qu’il est parfois nécessaire d’abandonner quelques services traditionnels cela a fonctionné et confirme bien cette transformation inéluctable. Nous n’allons pas provoquer de Big Bang, mais nous recommandons à nos entités de limiter les investissements autour des solutions PABX traditionnelles et d’avoir pour objectif de s’appuyer sur ces nouveaux socles collaboratifs pour gérer la transformation.

Mon analyse est que le mobile et le poste de travail vont devenir naturellement les terminaux de référence. Cela va avoir des conséquences sur l’infrastructure wifi, avec 15 à 20% d’équipements à prévoir en plus pour avoir une couverture capable de répondre à ces nouveaux besoins. Couvrir la voix ainsi dépasse ce qui a pu être mis en place dans une optique data. Là aussi, le message aux gestionnaires est clair : si vous faites des investissements wifi, mettez ces 15-20% supplémentaires qui vous permettront stratégiquement d’inclure la voix demain, car c’est l’avenir.

Comment ont évolué les relations avec les opérateurs télécoms, dans cette stratégie ?

Thierry Auger. Il faut garder à l’esprit que les situations sont très différentes d’un pays à l’autre. Si l’on fait un focus sur la France, dont nous nous occupons à part entière, tous les mobiles de toutes les entités françaises sont rassemblés dans un contrat commun. Il est donc vraiment important de travailler avec le plus de proximité possible avec les opérateurs pour mettre en place des solutions adaptées à des usages qui changent rapidement. Malheureusement, la situation est compliquée du côté des opérateurs, en termes de couverture, de qualité de service ou plus généralement d’adéquation des offres aux besoins réels. L’avantage est que nos capacités d’achat sont bonnes en France, et nous essayons en conséquence de structurer au maximum les contrats pour qu’ils soient le plus opérationnels possibles. Pour avoir les meilleurs arguments lors d’une négociation, nous avons des baromètres pertinents pour mesurer les écarts avec nos besoins ; cela est possible grâce à un travail commun réalisé au travers de nos comités télécommunications qui rassemblent régulièrement les gestionnaires Achats et SI des entités impliquées. Par ailleurs, il est important de ne pas se retrouver verrouillé aujourd’hui sur des contrats de 24 ou 36 mois. Le marché est dynamique et la réglementation évolue régulièrement, Il faut garder de la souplesse contractuelle afin de pouvoir à tout moment réagir sur décision de l’autorité de régulation ou une évolution majeure du marché. La transformation des entreprises est trop rapide aujourd’hui pour ne pas avoir cette capacité d’adaptation.

Et à l’international ?

Thierry Auger. Nous avons de vrais enjeux sur l’itinérance. L’évolution de la réglementation européenne est très utile en ce sens. Nous l’avions anticipé. Mais nous poussons aussi pour que les opérateurs fassent des packs adaptés à nos réalités. Sur les vingt destinations sur lesquels nous consommons le plus, il faut que l’on sorte du cadre standard pour du sur-mesure. Bien sûr, on ne peut répondre à toutes les situations de cette façon, mais pour les cas exceptionnels, il existe des palliatifs spécifiques. Par exemple, quand il y a un évènement planétaire, comme une Coupe du monde ou les Jeux olympiques, cela entraine une concentration énorme de collaborateurs de nombreux métiers différents… Il est alors possible de leur remettre des cartes SIM spécifiques à l’arrivée à l’aéroport ou encore d’avoir des terminaux dédiés, disponibles à l’accueil des sites concernés et adaptés contractuellement à l’usage ciblé.

Mais tout cela ne suffit pas toujours…

Thierry Auger. Il est nécessaire de sensibiliser encore et toujours, par exemple avec des petits guides très simples : voilà comment votre abonnement est structuré. Voilà ce qu’il vous permet de faire et de ne pas faire. Voilà les bonnes pratiques liées à des situations particulières. En parallèle nous cherchons aussi et avec l’aide de l’opérateur et de ses outils à informer en permanence l’utilisateur sur sa consommation, ses basculements sur les différents paliers, l’activation du roaming… C’est en améliorant la communication que nous avons avec les opérateurs que l’on pourra également améliorer celle avec les utilisateurs finaux, et cela sur des cycles beaucoup plus courts. Nous ne pouvons plus accepter d’être mis devant le fait accompli en octobre quand les périodes les plus tendues pour l’itinérance sont en juillet-août. Il nous faut du temps réel.

Au final, quelles sont vos priorités pour 2017 ?

Thierry Auger. L’intégration de la voix dans le collaboratif est une trajectoire bien définie. Elle demande de savoir apporter une réponse en termes de technologie et d’écosystème partenaire pour faciliter au maximum cette transition selon les services disponibles, la maturité de ces derniers et les usages réels. Il faut également rester vigilant sur les nouveaux opérateurs qui proposent ces offres. Nous ne devons pas perdre en souplesse parce qu’ils maîtrisent l’intégralité des nouveaux usages et fixent les règles. Dès aujourd’hui, je regarde avec attention les évolutions de coûts, afin d’identifier les sujets sur lesquels on ne risque pas de sortir gagnant.

Le mobile sera un maillon final majeur du réseau 2020, il est important de comprendre aujourd’hui les transformations qui vont s’opérer sur les réseaux locaux et étendus, ce nouvel écosystème qui va se mettre en place en s’appuyant sur le logiciel dans une logique de software defined network. Cela risque d’aller très vite. Avec quels acteurs faudra-t-il gérer ces changements ? Comment anticiper ces futures transformations très rapides ? Les acteurs sont en train de changer à grande vitesse et cela risque de créer des déséquilibres importants sur le marché. Nous devons donc anticiper cette nouvelle situation qui va vite s’imposer durant les trois prochaines années.

Retrouvez l’intégralité des résultats de l’Observatoire des usages télécoms mené par Alliancy et Saaswedo ainsi que les priorités à venir dans le document « Les entreprises face aux nouveaux usages télécoms ».