Une culture « agile » sans recruter de spécialistes DevOps : l’assureur Alan explique sa recette

Les spécificités de la culture d’entreprise du néo-assureur Alan ont des conséquences jusque sur la philosophie de ses équipes IT ; en particulier quand il est question d’agilité. Le point avec Rémy-Christophe Schermesser, l’un des principal engineers de l’entreprise.

Culture agile sans recruter de spécialistes DevOpsAlan, jeune entreprise spécialiste de l’assurance santé, a connu une importante croissance depuis sa création il y a sept ans. Avec 600 salariés aujourd’hui, elle est confrontée à l’enjeu de toutes les petites organisations qui grandissent vite : comment garder la flexibilité et l’agilité nécessaires à la réalisation de ses projets, sans compromettre leur fiabilité. Cette question se pose en particulier pour les équipes IT du néo-assureur, puisque l’entreprise est partie d’une feuille blanche en matière de système d’information à sa création, ce qui lui a donné un avantage non-négligeable, qu’il faut dorénavant préserver. Les 90 ingénieurs qui développent les projets et la vingtaine de spécialistes de la data de l’entreprise, sont en première ligne de ce combat pour ne pas devenir une entreprise « comme les autres » en grandissant.

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En la matière, Alan a fait un choix marqué : ne pas suivre la généralisation du mouvement DevOps, en cours dans de nombreuses organisations ces dernières années. Pas de recrutement de spécialistes de la question, des profils devenus très recherchés, pas plus que de suivi d’une « méthode agile » ayant pignon sur rue.

Transparence radicale, responsabilité partagée…

« Au sein d’Alan, nous avons déjà une façon de travailler assez particulière, avec une approche privilégiant l’asynchrone et la communication écrite et publique pour toute décision, de l’évolution stratégique de l’entreprise à la sélection d’un prestataire. Aucune information n’est privée et toutes sont disponibles à tous, à tout moment, même si les décisions sont encore en cours. » explique Rémy-Christophe Schermesser, principal engineer dans la société.

Ce mode de travail aux partis-pris marqués a d’ailleurs fait l’objet d’un livre, « Healthy Business », écrit en 2020 par le CEO et co-fondateur, Jean-Charles Samuelian-Werve. Au programme, une vision différente de la culture d’entreprise, qui prône transparence radicale, responsabilité partagée, suppression des réunions…

Mais pour les équipes IT, quel impact concrètement ? Rémy-Christophe Schermesser fait le lien : « Le cœur de métier d’Alan n’est clairement pas l’informatique. Donc l’entreprise a utilisé très tôt des plateformes externes pour ses besoins, qu’ils soient métiers ou techniques. Dès le départ, on voulait que notre temps soit axé sur l’apport de valeur métier, on ne voulait rien « faire en interne ». Cela impliquait de ne pas gérer d’infrastructure et de développer une philosophie de l’engineering basée sur le pragmatisme et la simplicité… »

Être « agile » et « flexible » différemment

C’est par exemple pour cette raison que l’entreprise a choisi d’utiliser la plateforme CircleCI pour assurer sa démarche de CI/CD (continuous integration/continuous development, NDLR). Avec un enjeu : accompagner la croissance de l’entreprise et de ses équipes. « Sur la période, nous sommes passés d’un à quatre-vingt-dix ingénieurs. Il fallait pouvoir les faire adhérer sans problème. Alors oui, avec cette philosophie notre stack technique n’est pas la plus originale et peut être qu’elle ne fait pas rêver, mais elle fonctionne extrêmement bien… Et les résultats sont là. » complète le principal engineer. Avant d’ajouter : « Contrairement à d’autres entreprises, on ne dit pas qu’on fait du DevOps ou qu’on fait de l’agile. On est « agile » et « flexible » mais pas dans la logique où on l’on entend aujourd’hui, avec l’application des méthodologies qui portent ces noms. »

Il n’y a pas tant d’entreprises en France qui adoptent un tel parti-pris. « L’expérience d’Alan m’a interpellé. Dans la Silicon Valley, on voit que les approches de CI/CD sont vues comme un élément libérateur du quotidien, et personne ne veut avoir à y penser. En Europe, ce n’est pas encore le cas, beaucoup d’entreprises se posent beaucoup de questions sur le sujet. En France, des entreprises comme Alan ou encore Payfit, sont parmi les rares à vouloir « se libérer » de cette façon » note Alexandre Savigny, responsable du marketing produit chez CircleCI, un éditeur qui compte Meta ou Airbnb parmi ses clients.

Pour que ce modèle fonctionne, Alan mise sur deux moments clés pour l’intégration des salariés : le recrutement et l’on-boarding. « Notre process de recrutement n’est pas court… » sourit Rémy-Christophe Schermesser. « Nous avons 7 à 8 étapes où nous allons chercher des signaux particuliers chez les candidats pour vérifier leur comptabilité avec notre modèle IT. Le but des entretiens d’embauches n’est pas en soi de regarder les compétences techniques : nous recherchons surtout la capacité à résoudre les problèmes, les approches adoptées selon les situations. Derrière, notre phase d’on-boarding dure un mois et demi ».

Des profils différents dans l’équipe IT

Une façon de procéder et une culture d’entreprise qui attirent énormément de profils seniors, estime Rémy-Christophe Schermesser : « Pour une entreprise très « tech », nous avons une répartition de séniorité assez particulière. Les “VP engineering director” par exemple, représentent environ 15% de notre équipe. On compte plus de 70% de profils seniors… Alors que souvent le ratio est inversé en faveur des juniors dans les entreprises » décrit celui qui partage ainsi le rôle de principal engineer avec deux autres spécialistes dans l’organisation.

L’avantage de cette séniorité des profils est de faciliter une répartition fluide des expertises, en fonction des besoins du moment. Avec une organisation des projets sur une base trimestrielle, Alan constitue et reconstitue en permanence des équipes ad-hoc en mixant les compétences et les profils, même quand l’entreprise doit revenir sur un sujet plusieurs fois dans l’année.

Un exemple est donné par le principal engineer au niveau de la sécurité : « C’est un aspect important de notre produit en tant qu’assureur parce que l’on touche à des données de santé en plus des données personnelles clients. Dans notre approche, la sécurité est distribuée : nous avons des spécialistes, mais on les embarque en fonction des besoins, dans une logique de “security by design”. On crée des équipes composites spécifiquement, qui vont des profils sécurité jusqu’au légal. »  

Pour l’heure, la recette réussite au néo-assureur. Et l’investissement sur des plateformes comme CircleCI n’est pas regretté. Rémy-Christophe Schermesser en témoigne : « Cela nous aurait coûté beaucoup plus cher de faire tout par nous-mêmes. Alan n’en serait pas là aujourd’hui si on n’avait pas pu avoir de telles plateformes. On peut grandir sans se poser de questions sur le sujet CI/CD par exemple. On ne se préoccupe plus du sujet, pas plus que les nouveaux ingénieurs que l’on recrute. C’est ce que l’on veut sur tous nos logiciels. Et nous espérons bien que cette dynamique pourra se poursuivre encore sur plusieurs années  ».