Dans une équipe, le turnover est inévitable

Heidi Helfand, coach agile et ingénieur software, a signé l’ouvrage « Dynamic Reteaming ». Elle est actuellement VP engineering chez Kin Insurance en Californie. Elle est intervenue en France lors de la conférence USI avant l’été pour évoquer les séismes que représentent, à l’échelle d’une entreprise, les arrivées et départs de collaborateurs.

Heidi Helfand, coach agile et ingénieur software, a signé l’ouvrage « Dynamic Reteaming

Heidi Helfand, coach agile et ingénieur software, a signé l’ouvrage « Dynamic Reteaming

« Je travaille depuis vingt ans, je manage des équipes d’ingénieurs et de développeurs. J’ai exercé dans plusieurs start-up qui sont parfois devenues des grandes entreprises. Un précepte m’a guidée durant des années avant que je ne le remette complètement en question : « Les équipes dont la composition est stable obtiennent de meilleurs résultats. »

La réalité, me semble-t-il, c’est que les équipes changent. Elles vont changer. C’est inévitable. Alors, pourquoi s’acharner à les stabiliser ? Mieux vaut sans doute utiliser son énergie à préparer le changement.

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Nous l’avons tous vécu : il suffit qu’une seule personne arrive (ou parte), pour que la dynamique d’équipe soit modifiée. Le nouvel arrivant apporte des idées neuves, une personnalité, des différences dans la manière d’habiter son poste. J’ai même vu des équipes changer de nom après une recomposition.

Je ne dis pas qu’il faut casser vos équipes pour le plaisir, ni que c’est un objectif en soi, et je ne dis pas non plus que c’est facile d’avoir des équipes dont la composition varie… mais je dis que c’est la réalité.

Votre organisation est-elle capable de plier comme le roseau, ou va-t-elle casser si cinq personnes arrivent ou partent simultanément ?

Les changements d’équipe peuvent prendre plusieurs formes : des arrivées ou départs qui se font une personne à la fois, mais aussi un « Grow & Split » : on scinde en deux (ou trois) une équipe qui a grossi. Autre option : la fusion d’équipe (lire ci-dessous). Mais aussi le fait de lancer un nouveau produit et d’aller piocher une personne dans 4 équipes différentes, pour créer une équipe-projet de 4 personnes.

Il reste bien sûr le « switching » : pour des raisons personnelles, les gens changent d’équipe ou d’entreprise.

Fusions d’équipes : impliquez les premiers concernés

En tant que manager, je peux partager plusieurs bonnes pratiques. D’abord, au sujet du « Merge Teams » (la fusion). Dans l’industrie du software, il est fréquent d’avoir des experts en nombre insuffisant pour pouvoir en affecter un à chaque petite équipe. Il est alors pertinent de rassembler plusieurs équipes.

Mais fusionner des équipes (même si c’est le fruit d’une décision et non d’un rachat où l’on fusionne sous contrainte), c’est très difficile. Il faut laisser les équipes se réorganiser comme elles jugent bon. Pour y arriver, il faut impliquer vos collaborateurs dans la prise de décision. Interrogez ceux qui sont au plus près du travail réel.

Et commencez par mettre les choses noir sur blanc : quel problème essaie-t-on de traiter avec cette fusion ? Quelle sera la structure de l’équipe avant et après ? Quel sera le calendrier du changement ? Mettez en place une véritable FAQ du changement…

Dans son livre « The Advantage », Patrick Lencioni rappelle que le CEO doit aussi être un « Chief Reminding Officer » : il lui faut se répéter au moins sept fois sur les sujets structurants. Et utiliser tous les canaux : chat, réunions physiques, entretiens individuels… Le leader doit faire preuve de patience. Ce n’est pas parce que lui est prêt, que les autres le sont également.

Pour ne jamais perdre un savoir-faire, créez des binômes

Je suis particulièrement vigilante quant aux « tours du savoir » (towers of knowledge) : c’est le problème que l’on rencontre quand une seule personne est dépositaire d’un savoir-faire. A son départ, on perd beaucoup plus qu’un collaborateur.

S’assurer que vos salariés changent régulièrement d’équipe permet de disséminer les connaissances. C’est structurel. Et cela crée un sentiment de renouveau.

Mais il y a plus tranché : personnellement, j’essaie de créer une culture, un système de compagnonnage, dans lequel tout le monde travaille systématiquement en binôme.

Le peer programming n’est pas toujours bien compris : est-il vraiment efficace d’affecter deux ingénieurs au même projet ? Alors, pour faire évoluer cet état d’esprit, pour que les salariés se sentent libres de travailler ensemble et non pas contraints, vous pouvez organiser un club avec des promoteurs de la méthode.

Inviter un expert est aussi une bonne tactique : la stratégie d’influence est importante, notamment dans les métiers de la Tech.

Une histoire commune et un « mode d’emploi » de l’équipe

Demandez à votre équipe d’écrire son propre « manuel d’utilisation » : quelles heures de travail, quelles préférences de communication, comment donner des feedbacks, comment gérer les conflits (qui ne manqueront pas d’arriver… ?

Et bien sûr, faites évoluer cette notice au gré des arrivées et départs de collaborateurs.

Un autre très bon exercice consiste à réunir son équipe avec une frise chronologique : « The Story of our Team ». Une fois cette frise créée, les membres de l’équipe racontent l’histoire : à quel moment ils sont arrivés, pourquoi, dans quelles conditions… et vous les filmez. C’est très puissant pour leur faire ressentir qu’ils ont une histoire partagée !

Le turn-over est particulièrement marqué en ce moment. Il y a la Grande démission, avec les « Pandemic Epiphanies » (j’ai par exemple un collègue qui a décidé d’ouvrir un magasin de moto). Mais aussi les licenciements ou en tout cas le fait que la Tech crée moins de postes : les investisseurs ont appelé à la prudence.

En conclusion, j’aimerais rappeler cette phrase tirée du livre « Leadership on the Line » (Heifetz & Linsky) : « Les gens n’ont pas peur du changement, ils ont peur de la perte. » »