Jérôme Dubreuil (Decathlon) : « Le management de la donnée donne de la valeur à notre chaîne logistique »

L’intelligence artificielle peut s’avérer être un outil puissant pour renforcer le travail de vente et de logistique. Pour y parvenir, Jérôme Dubreuil, Chief Digital Officer de Decathlon, rappelle l’importance de bien qualifier les données en amont pour rendre l’expérience du client la plus personnalisée possible.

Jérôme Dubreuil, Chief Digital Officer de Decathlon.

Jérôme Dubreuil, Chief Digital Officer de Decathlon.

Alliancy. Comment utilisez-vous l’intelligence artificielle chez Decathlon pour faciliter la vie des vendeurs ?

Jérôme Dubreuil : Nous avons des cas d’usages intéressants sur le pricing en accord avec notre politique des « prix justes ». Nous utilisons l’intelligence artificielle pour aider nos équipes en local à prendre des décisions sur les prix à déterminer en fonction du pays, de la région et du magasin en question. Historiquement, cette prise de décision se base sur les expériences personnelles de nos vendeurs, mais nous introduisons cette analyse de données pour complémenter ce travail.

Il y a plusieurs facteurs à prendre en compte comme la zone géographique ou bien les saisons et cela fait longtemps que nous avons su inclure ces retours d’expérience dans la transformation business de notre activité de vente. Un autre cas d’usage intéressant consiste à faire une sélection des « top et des flops » en termes de vente dans nos magasins. Decathlon propose des gammes de produits dans plus de 80 sports et les vendeurs ont appris avec le temps à reconnaître ce qui est préféré par nos clients.

Nous venons ici encore une fois complémenter l’avis de nos vendeurs avec une intelligence artificielle qui propose des produits auxquels ils n’auraient pas pensé. Nous avons dépassé le cap technologique et tout l’enjeu de cette transformation est de montrer que la diffusion de notre modèle de recommandations faites par l’intelligence artificielle est juste. Cette phase de déploiement doit instaurer un climat de confiance dans le travail de nos équipes.

Votre organisation interne a-t-elle été chamboulée depuis la crise ?

La crise sanitaire a évidemment eu des impacts sur notre activité, notamment parce que le comportement des consommateurs a changé. En 2021, les ventes en ligne ou en Click and Collect ont connu une croissance forte. Le plus important pour nous a été notre capacité à adopter un schéma logistique qui répond aux nouvelles attentes. Ces nouveaux modes de consommation en digital ou hybride nous ont poussés à configurer des entrepôts exclusivement adaptés à l’e-commerce de masse.

De la même manière, l’enjeu a été de livrer rapidement tout en veillant à ce que l’empreinte environnementale ne dégénère pas. Nous nous basons sur nos données pour minimiser les distances de transports pour la livraison et mieux réorganiser nos entrepôts en conséquence. La logistique est une stratégie qui évolue sur le temps long et nos données nous permettent de mieux coordonner l’organisation entre nos entrepôts continentaux, régionaux, locaux ainsi que ceux exclusivement dédiés à l’e-commerce.

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Pour y parvenir, sans doute faut-il s’assurer d’une bonne qualité et granularité de vos données…

C’est le plus important et nous avons à ce titre lancé depuis deux ans un programme majeur pour améliorer la qualité de notre data. C’est bien le management de la donnée qui fait notre singularité et qui donne de la valeur à notre chaîne logistique. Nous avons des centaines de types de données et tout l’enjeu est de produire cette data, l’acheminer et la mettre à disposition.

Les entreprises n’ont généralement pas assez pris conscience de la nécessité de cet effort pour mieux optimiser leurs processus et cela dépend effectivement de la qualité des données en bout de course. Si la marge d’erreur est trop importante, cela aura un impact considérable sur le pricing.

Une certification de la donnée est en cours et l’outillage est en place depuis 1 an, pour cataloguer plus finement nos produits. Ensuite, nos data owners sont chargés de la juste caractérisation de la donnée et de sa qualité. La qualité est en effet essentielle, et on l’anime fortement (outil, catalogue, data owner). Cela nous permet d’éviter garbage in-garbage out, à savoir de faire des algorithmes et modèles qui vont produire des résultats médiocres car la qualité des donnes en entrée est médiocre.

Comment cela s’applique chez vous ?

Guide Numérique en pratique Relation client Concrètement, si un utilisateur se connecte sur nos sites web, un algorithme va analyser ses achats, ses sports préférés, ses voyages dans Decathlon Travel ou encore ses habitudes avec Decathlon coach. Nous personnalisons ensuite les produits qui lui sont proposés en fonction des données le concernant. Mais si ces produits sont d’emblée mal qualifiés avec une mauvaise taxonomie ou catégorisation, l’algorithme de recommandation deviendra forcément moins pertinent.

En matière de pricing par exemple, une intelligence artificielle ne peut typiquement pas fonctionner si elle est cloisonnée. L’optimisation des gammes doit s’ouvrir dès le départ vers l’extérieur en incluant des données sur la zone de chalandise du magasin ainsi que la veille sur les produits similaires qui se vendent chez la concurrence.

Comment assurer la cohérence de votre stratégie appliquée à plusieurs pays et aux fonctionnements régionaux foncièrement différents ?

Si l’optimisation n’est pas assurée dans chaque pays, nous nous exposons à une perte d’opportunités énorme. Pour répondre à cet enjeu, nous mettons à disposition un certain nombre d’assets comme des algorithmes de recommandation, avec toutes les ressources et la documentation nécessaires pour assurer le déploiement et la prise en main en local. Il y a aussi un travail à faire pour former nos talents locaux tout en prenant en compte les spécificités régionales.

En général, lors du déploiement d’un nouvel outil, nous testons les assets avec un pays en particulier puis nous le validons auprès de sites de production et préparons toute la documentation associée. Ces assets passent ensuite par notre réseau de déploiement et de product owners qui font le travail de formation aux cas d’usage.

La généralisation du Click and Collect a fait l’objet de ce processus car cela demande du temps aux équipes de préparer les commandes que les clients commandent sur internet et viennent chercher sur site. L’intelligence artificielle a permis aux collaborateurs d’optimiser leur temps pour traiter et anticiper les pics de commandes de ce type.

Quelle est la prochaine étape pour Décathlon en matière d’analyse data ?

Tout l’enjeu pour Decathlon aujourd’hui est d’augmenter sa capacité interne sur la partie data : nous avons un framework cohérent pour la montée en qualité de nos données mais il faut désormais aller plus vite sur la partie production. Avant d’arriver au stade du cas d’usage, une nouvelle intelligence artificielle prenait plusieurs mois pour être déployée chez nous. Nous avons réduit ce délai à quelques semaines. 

Notre mission reste de rendre durablement le plaisir et les bienfaits de la pratique du sport accessible au plus grand nombre. Et pour y répondre, plusieurs projets vont continuer d’évoluer pour rendre l’expérience de nos utilisateurs de plus en plus personnalisée.