R&D en Paca : la région ne se repose pas sur ses lauriers

La recherche privée ou publique, fondamentale ou appliquée, tient une place primordiale dans la dynamique d’innovation qui anime un territoire. La région Paca bénéficie en matière de R&D de nombreux pôles et grands donneurs d’ordres implantés localement, une politique publique qui s’est remise en question et, surtout, une approche multi-filières variée qui évite une dépendance trop forte aux choix de quelques acteurs et éventuelles crises. Ce qui n’empêche pas les acteurs locaux de vouloir réinventer la dynamique locale.

La-recherche-tech-dans-la-région Dès les années 1970, la France s’est mise à admirer l’élan de recherche et développement visible dans la Silicon Valley, en Californie. Un exemple qui convainc alors l’Etat de pousser à la création de technopoles, dont s’emparent les collectivités. L’Hexagone en compte aujourd’hui 49 dans toute la France, regroupée au sein du réseau Retis.

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Au sein de l’association, on note : « Les technopoles sont nées de l’initiative des acteurs locaux. Leur émergence n’a pas été normée initialement par un cahier des charges, mais résulte de la prise de conscience d’une nécessaire démarche concertée des responsables locaux en faveur de l’innovation et de l’entreprenariat. » De quoi lier recherche, innovation et territoires… et développer l’attractivité de ces derniers.

A Aix-en-Provence, Frédéric Guilleux dirige la Technopole Arbois, qui fête cette année les 20 ans de sa labellisation (2001). « Comme toutes les technopoles, nous concentrons un écosystème local d’innovation. Certains ont une approche généraliste, mais je trouve qu’il est plus facile d’être thématique, comme nous. Nous avons été historiquement la première technopole française dédiée à l’environnement et ses technologies », note-t-il. Avec 400 enseignants-chercheurs répartis dans 12 laboratoires en unités mixtes avec Aix-Marseille Université, la technopole Arbois est adossée à une école doctorale et son grand master de science de l’environnement terrestre accueille 200 étudiants spécialisés. Elle dispose aussi de la seule chaire du Collège de France en dehors de la capitale : celle dédiée aux études du climat.

Ne pas rester au pied du podium

Cette spécialité ne se limite cependant pas à l’enseignement et à la recherche théorique. « Nous avons aussi neuf plateformes technologiques, soit scientifiques, soit portées en collaboration avec des entreprises. Et nous complétons la démarche avec une pépinière d’entreprises spécialistes de la cleantech avec 44 jeunes pousses de moins de cinq ans et presque le même nombre d’entreprises plus matures accueillis dans des hôtels d’entreprises, en partenariat avec trois pôles de compétitivité locaux », décrit le directeur général du technopole.

L’élan en faveur des technologies environnementales a porté le développement spécialisé de l’organisme : selon le dernier baromètre de FranceInvest, les investissements en France dans les green et cleantech sont passés de 134,5 millions d’euros en 2009 à 1,2 milliard d’euros l’an dernier. « On doit atteindre autant que faire se peut une masse critique. Le classement par l’association des Sciences Parks* au niveau mondial a montré que nous étions quatrième au niveau mondial dans ce domaine derrière Boston, Berlin et Perth. Nous sommes encore au pied du podium… Donc, l’idée est de se donner les moyens d’être les leaders mondiaux. Et on sait tous que l’excellence amène l’excellence ».

Pourtant, ni Aix-en-Provence, ni Marseille, ou même la région Paca dans son ensemble ne sont étiquetées comme terre d’adoption d’une unique filière, comme peuvent l’être par exemple Toulouse pour l’aéronautique ou Grenoble dans la microélectronique. Un point qui est vu paradoxalement comme une force par les acteurs locaux.

La dynamique vient de la variété

« C’est très utile en R&D pour faire maturer de nouvelles technologies et les basculer d’un secteur à un autre. On adapte des briques grâce à cette perméabilité entre les filières, c’est toute la richesse de la démarche, car il y a toujours certains secteurs qui sont en avance sur un domaine de recherche ou une technologie particulière », explique Stéphane Magana, directeur général de Team Henri Fabre, un pôle d’innovation mutualisée, dédié aux industries du futur, qui a vu le jour en 2015 pour répondre aux besoins de la région et de ses acteurs.

Le pôle s’appuie également sur un technocentre implanté localement. Le dirigeant souligne par ailleurs que l’écosystème numérique bien développé de la région, vient compléter cette variété dans l’aéronautique, le spatial, le naval, le médical ou l’énergie (avec à la fois le centre d’ingénierie nucléaire d’EDF implanté à Marseille et le chantier d’Iter, avec le CEA de Cadarache notamment). « Cela permet d’attirer beaucoup de monde, que ce soit sur les sujets IoT, l’IA ou plus généralement le digital. La dynamique vient de la variété » insiste-t-il.

« Avoir beaucoup de filières actives dans la région, c’est un atout. Quand ça va mal, nous sommes moins touchés, même si la croissance peut-être moins rapide quand tout va bien », abonde Olivier Chavrier, directeur général du pôle de compétitivité mondial SCS, dédié aux solutions communicantes sécurisées et basé en Paca depuis sa création en 2005. Il complète : « Dans le cas de la filière du numérique que nous animons, nous avons aussi une grande diversité d’acteurs, ce qui nous permet de monter des projets complets, sur toute la chaîne du numérique, des composants électroniques au cloud ». La présence d’une multiplicité de grands donneurs d’ordre, de nombreux laboratoires publics et privés et d’organismes prestigieux, comme les antennes du CEA, l’Isen à Toulon ou encore l’Ecole des Mines de St Etienne à Gardanne, permet aux entreprises et notamment les PME de pouvoir développer et financer plus facilement leurs innovations.

Le numérique, un moteur à mieux protéger

Au niveau public, la région pousse de plus en plus la carte de l’excellence du numérique, en faisant un lien direct avec l’économie du territoire. « Depuis environ six ans et la couverture nationale sur ces problématiques, on voit en région un vrai élan sur les start-up, les fonds d’amorçage, etc. Les responsables publics poussent à la structuration de l’écosystème et la région est très dynamique sur la création de produits et services numériques » décrit Olivier Chavrier. L’avis est partagé : la Région fait de mieux en mieux son travail en multipliant les politiques publiques, mais il reste encore à transformer l’essai. Les acteurs locaux craignent en effet un trop grand « saupoudrage » des investissements, plutôt qu’une concentration sur certains thèmes clés.

En effet, l’écosystème du numérique reste encore notoirement fragile : « On constate que les start-up et les PME du numérique réalisent en moyenne 2 ou 3 millions d’euros de chiffre d’affaires pour environ 10 à 20 salariés. Parmi les licornes françaises, il n’y en a pas dans la région ou issues de la région. Il n’y a que 3 scale-up du Frenchtech 120 en Paca. Il manque encore une taille critique à cet écosystème du numérique pour pouvoir attirer et constituer une référence nationale voire européenne ».

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Dans l’analyse du Pôle SCS, cette situation paraît intimement liée à l’engagement des grands groupes. Si certains acteurs industriels à l’image de STMicroelectronics ou Thales ont largement investi localement en termes de R&D, avec une concentration d’entreprises internationales à Sophia Antipolis, les pionniers n’ont pas été rejoints par les nouveaux champions de l’économie mondiale. « Depuis trente ans, ce sont un peu toujours les mêmes grands groupes qui se mobilisent et il manque de renouvellement et de nouvelles arrivées de grands industriels du numérique en Région ! De son côté, Apple a investi un milliard d’euros à Munich… et pas en Paca ou même en France. Or, ce sont ces grands qui structurent l’écosystème actuel. Où sont Google et Amazon ? Où sont les champions asiatiques ? C’est sur cette attractivité là qu’on veut aussi faire bouger les lignes », affirme Olivier Chavrier.

Paca compte ses atouts pour attirer les talents dans la Recherche

L’élan acquis ces dernières années par les acteurs de la recherche pourraient également être mis à mal par un autre manque : celui de jeunes talents. Les organismes de formation de la région multiplient les initiatives, mais cela reste insuffisant du point de vue de nombreuses entreprises et centres de recherche. La pénurie d’ingénieurs qualifiés sur les sujets d’avenir se fait sentir, avec certaines entreprises locales qui admettent aller recruter en Pologne ou en Slovaquie des experts des logiciels embarqués ou du design de puces, alors que le marché des semi-conducteurs est sous très forte tension au niveau mondial. Au pôle SCS, on souligne qu’il s’agit sans nul doute d’un des sujets prioritaires pour la relance post-Covid. Les progrès réalisés en matière de formation initiale ne se verront que dans quelques années et les acteurs locaux de la formation continue comme le Wagon ou Simplon, sont encore esseulés pour tenir face à la demande en termes de reconversion et de formation des employés aux nouvelles technologies.

Le tableau n’est cependant pas entièrement noir. « On remarque que les gens n’hésitent plus à partir de la région parisienne qui les rassurait en termes de sécurité de l’emploi… Et ils viennent ici parce que maintenant nous pesons, nous aussi », témoigne Stéphane Magana de Team Henri Fabre, en prenant l’exemple du recrutement de techniciens qui ont quitté des grandes entreprises implantées en région parisienne pour s’installer dans la métropole marseillaise. « Le challenge pour nous est de faire en sorte que les doctorants et jeunes diplômés se fassent ensuite confiance pour créer leurs propres entreprises », complète Frédéric Guilleux pour le technopôle de l’Arbois. « L’important est donc de créer une lisibilité sur les besoins des entreprises, les postes ouverts, les marchés disponibles… pour faire le lien avec les écoles et les acteurs de la recherche ». Il note que la création de la plateforme publique des marchés innovants va, par exemple, dans le bon sens pour apporter cette fluidité dans tout l’écosystème. Car la R&D locale ne vit pas dans une bulle. Un argument de politique publique qui viendra sans nul doute renforcer l’autre point sur lesquels tous les acteurs locaux s’accordent : que ce soit pour les étudiants, les chercheurs, les techniciens ou les startupers, la vie plus douce sous le soleil de Paca est la cerise sur le gâteau.

 

*IASP – International Association of Science Parks and Areas of Innovation