[Edito] VMware-Broadcom : l’autre enjeu d’avenir du numérique

Quand on évoque l’avenir du numérique, on pense aux ruptures technologiques comme l’IA, puis souvent aux sujets d’infrastructures et de compétences, comme nous le rappelle la feuille de route stratégique de la France pour la décennie numérique. Dévoilée par Marina Ferrari, la secrétaire d’État en charge du numérique, fin mars, celle-ci doit permettre de répondre aux objectifs fixés par la Commission européenne à l’horizon 2030 en matière de transformation numérique autour de quatre piliers : infrastructures, compétences, numérisation des services publics et transformation des entreprises. Parmi les points mis en avant par le gouvernement français : l’enseignement des « compétences élémentaires » du numérique dès le primaire, la généralisation de la fibre optique et de la 4G sur tout le territoire, l’accélération de la numérisation des TPE et PME ou encore de 250 « formalités administratives publiques essentielles » d’ici 2025…  

Mais au-delà de ces fondamentaux, plutôt bien maîtrisés aujourd’hui par les politiques, d’autres défis de l’économie numérique sont beaucoup moins pris en main par les élus, alors qu’ils ont un impact décisif sur notre avenir numérique. Il en va ainsi du rachat de VMware par Broadcom, qui a provoqué une forte onde de choc dans les directions des systèmes d’information, l’entreprise étant de facto au cœur des SI et des stratégies de cloudification. La situation est telle que le Cigref, réseau des grandes entreprises et administrations françaises en transformation numérique, a adressé début avril une lettre à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, l’enjoignant à s’emparer du sujet et à agir, devant les risques pour l’écosystème français et européen.

Cette lettre, co-signée avec les trois associations sœurs européennes VOICE e.V. (Allemagne), Beltug (Belgique) et CIO Platform Nederland (Pays-Bas), estime que malgré les mises en garde émises depuis deux ans et demi maintenant, la Commission et les régulateurs n’ont pas pris la mesure de ce qui se joue aujourd’hui sur le marché.  

« Nous observons que le comportement de Broadcom semble contraire aux principes de la concurrence loyale et pourrait être le signe d’une exploitation abusive. Ce comportement n’est possible qu’en raison du verrouillage des clients et de la forte dépendance des utilisateurs professionnels qui ont acquis et mis en œuvre les produits VMware » souligne la missive. Avant de préciser les griefs exprimés par les DSI : « Depuis son rachat de VMware, Broadcom a confronté ses clients à des changements soudains de politique et de pratiques, ce qui s’est traduit par une forte augmentation des prix ; le non-respect d’accords contractuels antérieurs ; l’interdiction de la revente de licences ; le refus de maintenir les conditions de sécurité pour les licences perpétuelles ; le regroupement des licences, entraînant des coûts plus élevés. »  

Les associations notent aussi un bouleversement de l’écosystème des revendeurs et partenaires historiques de VMware, mis en difficulté par ces pratiques, et une « perte de connaissance » problématique à long terme autour de ces technologies clés et de leurs usages. En insistant sur le comportement « non-éthique » de Broadcom, elles mettent en garde contre le risque que cet « exemple inacceptable » soit à l’avenir imité par d’autres fournisseurs clés. Le Cigref et ses associations sœurs vont même plus loin en estimant que « le mépris et la brutalité de Broadcom à l’égard de ses clients sont sans précédent dans l’histoire récente de l’économie numérique en Europe ». Le Cigref estime d’ailleurs que pour l’économie européenne, la perte sèche s’élèvera à 15 milliards d’euros dans les deux prochaines années. Sans compter les impacts structurants pour le futur.  

Mais en dehors des cercles initiés, le sujet n’est ni connu, ni maîtrisé. Les députés européens qui ont entendu parler de Broadcom se comptent sur les doigts de la main. Il en va de même pour les politiques français. Or, malgré cette méconnaissance et compte tenu de l’ampleur des impacts pour l’avenir de la transformation numérique des organisations, les associations rappellent que « cette affaire ne peut être laissée aux seuls techniciens du droit de la concurrence », d’autant plus alors que ceux-ci ont largement ignoré les nombreuses alertes ces dernières années, donnant à la situation une très désagréable impression d’inexorabilité. Les dirigeants mobilisés appellent donc à une réaction politique et réglementaire. Et de conclure : « Si les pouvoirs publics de l’Union européenne laissent prospérer la volonté de Broadcom de se comporter ainsi, avec autant de mépris et de brutalité, c’est un signal clair de faiblesse que nos institutions enverraient aux autres géants du numérique, un signal qui sera, n’en doutons pas, clairement entendu. »