Jean-Yves Lepine (Dalkia) : « Nous ne pouvons plus nous appuyer sur des applications “en tuyaux d’orgue”, avec une base commune minimale. »

>> Cet article est issu du Guide guide pratique « Les organisations à l’épreuve des défis cachés de l’expérience client et usager » disponible sur notre page dédiée aux défis de la relation client et usager.

Dalkia est une entreprise née il y a plus de 80 ans en région lilloise, spécialisée dans les services énergétiques et la production d’énergie décentralisée. Elle met en œuvre et utilise notamment des énergies renouvelables comme la biomasse, la géothermie, la thalassothermie, le biogaz et des énergies de récupération issues de l’industrie ou des data centers. Son directeur de l’expérience client, Jean-Yves Lepine, analyse les défis majeurs qu’une organisation BtoB comme la sienne doit relever aujourd’hui.

Alliancy : Pourquoi votre entreprise a-t-elle fait de l’expérience client un sujet à part entière dans son organigramme ?

Jean-Yves Lepine (Dalkia)

Jean-Yves Lepine (Dalkia)

Jean-Yves Lepine : Il nous est apparu comme une impérieuse nécessité de compléter l’excellence opérationnelle, largement reconnue par nos clients, par une brique d’excellence relationnelle. Le monde de l’énergie bouge énormément et nécessite que nous soyons en permanence en phase avec nos clients pour apporter toute la valeur des services délivrés : le bon geste technique au bon moment, la bonne maintenance des installations, le pilotage des énergies et la relation avec nos clients sur le long terme…

A lire aussi : Bertrand Nachbaur (Dalkia) : « Nos clients nous voient de plus en plus comme le garant de la gestion de leurs données »

Quand nous avons créé la direction des relations client en 2014, cela a été dans l’optique d’en faire une source de création de valeur à part entière. Son objectif est de prendre en compte la perception de nos clients et d’ancrer la « centricité client » dans l’entreprise. En effet, la capacité à faire vivre des expériences à nos clients dépend à la fois de la posture globale de l’organisation, mais aussi des actions individuelles menées par l’ensemble des forces vives de l’entreprise. Il fallait donc définir des méthodes, des postures, mais également mettre en place des « avocats des clients » constitués par un réseau interne de correspondants.

Alliancy : En quoi le contexte de votre activité est-il particulier par rapport aux enjeux d’expérience client d’autres entreprises ?

Jean-Yves Lepine : En BtoB, il faut satisfaire à la fois son interlocuteur, l’entreprise signataire du contrat, mais également le client de ce client, que nous appelons le bénéficiaire. Il nous faut comprendre à la fois les attentes, postures et réactions de nos clients, mais également celles des bénéficiaires, lesquelles peuvent éventuellement ne pas s’inscrire dans les objectifs de nos clients. Dans cette logique « BtoBforC », il faut être très attentif à ce qui crée la satisfaction, en termes d’expérience relationnelle et d’expérience numérique, car nous sommes comparés à des parcours et des expériences « grand public » comme celles du e-commerce. Les exigences de fluidité et d’ergonomie peuvent paraître excessives dans notre métier, mais elles jouent en fait énormément.

Par ailleurs, selon le segment d’activité et les fonctions de nos interlocuteurs, les approches peuvent être différentes. Si notre client est un gestionnaire des services généraux dans un hôpital, ses attentes seront différentes de celles d’un gestionnaire d’énergie dans l’industrie. En développant le plus largement possible un sens du client en complément du sens du service technique, nous nous mettons en capacité d’apporter « le confort dans la sobriété énergétique ».          

Alliancy : Quelles sont les initiatives que vous avez mises en œuvre pour y parvenir ?

Guide Numérique en pratique Relation client Jean-Yves Lepine : Nous avons noté un changement de paradigme criant. Historiquement, les clients nous voulaient invisibles, ils s’intéressaient peu à ce que nous faisions… Aujourd’hui, ils souhaitent que nous soyons transparents et que tout ce que nous faisons lui soit exposé, expliqué. Nos équipes n’étaient pas armées pour cette évolution majeure.

Notre rôle est donc de fournir les outils qui permettent aux équipes de développer ce sens du client et de se sentir légitimes dans la communication ainsi que dans l’échange, alors que cela ne faisait pas partie de leur responsabilité par le passé. Nous mettons l’accent sur la prise en compte de ces dimensions et nous répondons à des besoins précis de formation identifiés par les managers, pour accompagner les savoir-être, l’écoute, l’empathie, à travers des kits de formation et de communication appropriés. L’équipe centrale travaille aussi auprès du terrain pour apporter les méthodes permettant l’auto-évaluation des compétences relationnelles, ce qui n’est pas un sujet simple.

Alliancy : Au-delà de ces changements organisationnels, a-t-il fallu faire évoluer les technologies et le système d’information ?

Jean-Yves Lepine : Notre leitmotiv permanent est de faire du numérique le support du partage, de l’échange et de la création de valeur pour les clients. Bien sûr, les outils centrés sur la productivité sont une réalité, mais l’on ne peut pas s’en contenter. Le système d’information doit intégrer la nouvelle dimension des interactions clients. Il doit permettre la mise à disposition d’informations, issues de nos différentes filières, afin de mieux assurer la diffusion des satisfactions et insatisfactions des clients et des actions menées en corollaire. Nous ne pouvons plus nous appuyer sur des applications « en tuyaux d’orgue », avec une base commune minimale. De la facturation, au paiement du client, jusqu’à l’information technique ou encore le délai de remise d’un devis, tous les éléments de la vie du client doivent pouvoir être partagés si nécessaire, sans pour autant que tout le monde accède en permanence à tous les outils et à toutes les informations.

« Les rôles de clients et de fournisseurs coexistent dans la relation, pour former un écosystème de partenaires. C’est cette nouvelle réalité qu’il fallait faire apparaître dans notre SI qui par ailleurs s’ouvre de plus en plus sur… Cliquez pour tweeter

Un collaborateur doit pouvoir comprendre le contexte global et être contributeur des réponses données au client, qu’il soit commercial ou responsable des opérations. La plateforme numérique doit faire le lien, alors que les rites et la culture client font naître le réflexe initial. Notre parti pris est de faire en sorte qu’un collaborateur travaille à partir de son « application maîtresse » sur ses opérations du quotidien, mais qu’il puisse également accéder à des informations venues d’autres applications. Il ne suffit pas de donner un login et un mot de passe à tout le monde, en espérant que chacun trouvera bien l’information qu’il lui faut ! Il est nécessaire d’amener l’information jusqu’aux collaborateurs et donc de mener un important travail de design pour chacun d’entre eux.

Alliancy : Où en êtes-vous de cette évolution technique ?

Jean-Yves Lepine : Ce n’est vraiment pas un sujet simple. Nous avançons pas à pas, grâce à un processus interne avec des comités inter-filières pour mener l’évolution de chaque système d’information de filière. Nous définissons au cas par cas ce qui doit nourrir chaque SI en termes d’informations extérieures. Et en parallèle, nous menons d’autres chantiers : la mise en place des « visions pour compte » pour que nos équipes puissent voir exactement ce que le client voit, ou encore l’APIsation des systèmes pour favoriser le partage de données.

Alliancy : Quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées sur ces chantiers ?

Jean-Yves Lepine : Il y a un sujet en particulier qui est représentatif des transformations que connaît notre activité et de leur impact d’un point de vue technologique. L’un des efforts que l’on a dû faire a été de remettre à plat notre référentiel et la façon dont on modélise notre activité dans le système d’information. Il nous fallait prendre en compte les différentes visions – contractuelles, financières, géographiques, techniques, organisationnelles – nous permettant de délivrer la valeur client selon nos quatre zones fondamentales de création de valeur : le geste technique, la maintenance du patrimoine client, l’efficacité énergétique et la qualité relationnelle.

Par ailleurs, nous devions tenir compte de l’évolution de notre marché. De plus en plus, il nous arrive d’acheter de l’énergie à des clients au moyen de la récupération de chaleur fatale de leur production industrielle. Celle-ci qui était perdue jusqu’alors est utilisée pour des réseaux de chaleur et redistribuée aux collectivités. Les rôles de clients et de fournisseurs coexistent dans la relation, pour former un écosystème de partenaires. C’est cette nouvelle réalité qu’il fallait faire apparaître dans notre SI qui par ailleurs s’ouvre de plus en plus sur l’extérieur, pour s’inscrire dans une nouvelle « expérience » plus globale.

Alliancy : Quel est votre Top 3 des défis à venir en matière d’expérience client ?

Jean-Yves Lepine : Le premier est un défi de connaissance, dans un monde d’inversion de la présomption d’incompétence (c’est-à-dire qu’un client peut aujourd’hui en savoir plus sur le produit que le vendeur). Tout le monde est connecté, tout le monde peut tout savoir sur tous les sujets. C’est une remise en question du rôle de l’expert à laquelle il faut savoir répondre.

Le deuxième défi est celui de la communication empathique, qui nous permettra vraiment de gérer ce passage délicat de l’invisibilité à la transparence dans notre rôle d’expert.

Enfin, je vois un troisième défi beaucoup plus global et qui n’en est pas moins extrêmement important. Ce défi est celui du soin et de l’attention ; à soi, aux autres et à la planète, enfin de produire sans détruire, de protéger par le service, de s’inscrire dans la durabilité. On ne peut plus être dans une seule logique de productivité et de rapidité au détriment de tout le reste.