Quelle place pour le numérique dans la planification écologique à venir ? 

La « planification écologique » s’immisce dans les débats. D’abord arboré par Jean-Luc Mélenchon lors de sa campagne, c’est Emmanuel Macron qui reprend à son tour l’idée d’un Etat qui montre la voie pour rendre nos modèles de production plus propres. Au programme : un Premier ministre chargé d’articuler le plan de manière transversale ainsi qu’un recours très marqué à la technologie ; au risque de concentrer le sujet sur le solutionnisme technologique. 

La feuille de route "Numérique et Environnement" a été partagée en février 2021.

La feuille de route « Numérique et Environnement » a été partagée en février 2021.

D’ici 2030, les pays signataires de l’accord de Paris sont tenus de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55% et la France semble en retard. Estimant que les efforts sont effectivement insuffisants, le Conseil d’Etat avait d’ailleurs sommé le gouvernement en juillet 2021 de revoir sa copie. Aujourd’hui, ce sont les actions attendues au cours du nouveau quinquennat d’Emmanuel Macron qui compteront, alors que l’échéance des engagements climatiques approche. 

Il y a quelques jours, le ministère de la transition écologique a tenu à rassurer la plus haute juridiction administrative française au sein d’une lettre rappelant que les engagements seraient tenus – notamment dans le cadre de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), destinée à mener l’économie vers une transition pauvre en carbone, circulaire et durable d’ici 2050.

D’autres dispositifs ont aussi été lancés pour s’aligner aux objectifs climatiques européens : l’entrée en vigueur de la loi Climat et Résilience, le lancement du plan France 2030, l’accélération du déploiement du solaire et de l’éolien ainsi que le projet de construction de six réacteurs nucléaires de types EPR2 d’ici 2050 

Le temps passé du jeu électoral, comment Emmanuel Macron compte-t-il s’y prendre ? Quel poids accordera-t-il à la technologie dans sa « planification écologique » ? Quelle vision du numérique défendra-t-il pour gérer les défis et ruptures en cours ? 

La feuille de route “Numérique et environnement” 

La feuille de route “Numérique et environnement” est le fruit de plusieurs travaux d’experts : d’abord la somme des échanges tenus dans le cadre de la Convention citoyenne pour le climat de 2019 à 2020, puis la feuille de route du Conseil national du numérique de juillet 2020 et enfin le rapport du Sénat sur l’empreinte environnementale du numérique – dont le second volet a été rendu public en octobre 2020. 

Ces travaux ont contribué d’une part à la promulgation en novembre 2021 de la “loi REEN” et d’autre part à l’émergence d’une stratégie nationale à part entière. Les objectifs sont clairs : il s’agit d’arriver à mieux mesurer les impacts réels du numérique sur l’environnement afin de le rendre plus sobre et plus responsable. À noter qu’un focus spécifique est accordé à la phase de production des équipements numériques qui représente 75% de l’empreinte environnementale du numérique. 

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Puisque l’empreinte environnementale du numérique ne se limite pas aux émissions de gaz à effet de serre, le gouvernement souhaite fédérer davantage les écosystèmes publics et privés pour mettre à jour les bases de données nécessaires à l’évaluation de la performance environnementale de la tech. Ce qui nécessitera donc d’inclure les consommations de ressources non renouvelables, les impacts sur la biodiversité et l’eau et la consommation d’énergie. 

Ainsi, l’Arcep – en lien étroit avec l’Ademe – se voit confiée un pouvoir de collecte de données environnementales auprès des acteurs du numérique afin d’alimenter un baromètre environnemental des acteurs du numérique. Un recensement des différentes méthodes d’évaluation environnementale du numérique a aussi été publié en début d’année par cette même autorité de régulation.  

Sur la question de la réduction de l’empreinte liée à la fabrication des équipements, le gouvernement projette de soutenir l’allongement de la durée de vie des équipements numériques et le développement de l’éco-conception des produits et services numériques. Le chantier consiste notamment à l’élaboration des codes de bonne conduite dans tous les secteurs, des réseaux télécom aux datacenters en passant par les équipements numériques et les services et applications.  

Des incitations fiscales sont d’ailleurs prévues : les hébergeurs de datacenter qui font valoir leurs efforts en matière d’écoconception et d’efficacité énergétique auront droit en 2022 à un tarif réduit sur la taxe applicable à l’électricité consommée. La volonté de voir émerger un modèle d’éco-conditionnalité se fait sentir depuis la promulgation de la loi de finances pour 2021.  

En parallèle, l’effort d’innovation est considéré comme le meilleur moyen de mener notre transition écologique. De la gestion des déchets à l’optimisation de nos flux logistiques, agricoles voire énergétiques, la technologie et la recherche en intelligence artificielle continuent de faire leurs preuves.  

Et sans doute que le futur gouvernement poursuivra ce projet d’amélioration de nos réseaux existants pour limiter à la fois notre impact et celui du numérique. L’Arcep sera elle aussi évidemment sollicitée pour éclairer le débat public sur des projets technologiques en cours. Elle a par exemple été missionnée en novembre 2021 pour mieux prendre en compte les enjeux environnementaux dans l’attribution des fréquences 5G. 

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Concilier industrialisation et enjeux durables 

Le plan France 2030 est la pierre angulaire du calendrier budgétaire du gouvernement et il résume parfaitement le positionnement d’Emmanuel Macron sur le lien établi entre numérique et environnement. Signe d’un président de la République qui mise grandement sur des moyens financiers pour catalyser un savoir-faire technologique français sur des objectifs mêlant gains économiques et « impact ».

En effet, Emmanuel Macron fait de l’innovation sa clé de voûte ; reprenant les sujets de souveraineté, de réindustrialisation et de développement durable comme une suite logique des choses. Au regard d’un défi climatique de plus en plus critique, c’est bien une vision d’un Etat volontariste qui se profile. Le contexte, avec la guerre en Ukraine, a rappelé encore une fois notre dépendance aux énergies fossiles ainsi que la fragilité de nos chaînes d’approvisionnement face aux risques. 

«La guerre en Ukraine nous impose de sortir plus vite des énergies fossiles et signifie d’être plus ambitieux en matière climatique », déclare Emmanuel Macron ce lundi, lors de la clôture de la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Ce dernier projette de faire de l’Europe une puissance écologique neutre en carbone et ses objectifs sont tous détaillés au sein du Plan France 2030 : 

  • 1 milliard d’euros pour développer des réacteurs nucléaires de petite taille 
  • 8 milliards pour produire massivement de l’hydrogène “vert” à destination de la production d’acier, de ciment, de produits chimiques ou encore pour remplacer le carburant fossile de nos moyens de transport 
  • 4 milliards d’euros pour produire près de 2 millions de véhicules électriques et hybrides ainsi le “premier avion bas-carbone” 
  • 2 milliards d’euros pour décarboner notre production agricole, la rendre plus résiliente et moins dépendantes des engrais et pesticides, grâce au numérique, la robotique et la génétique 
  • 2 milliards d’euros pour adapter les formations de l’enseignement supérieur aux enjeux de dépendance notamment sur l’approvisionnement en plastique et métaux, la consolidation de la filière bois, le recyclage et l’économie circulaire 

Pour découvrir le Plan France 2030 en détail : Plan « France 2030 » : pour une France souveraine 

Pour mieux accompagner ces transitions écologique, énergétique et numérique, le gouvernement reste convaincu qu’une grande part de la bataille sera menée sur le terrain de la concurrence économique. La France ambitionne de faire de ses pépites technologiques des champions à même de s’imposer sur le marché européen voire international.

Force est de constater que les efforts d’investissement du dernier mandat à destination de la French Tech semblent avoir porté leurs fruits : l’écosystème tricolore compte désormais 23 licornes, ces start-up valorisées à plus d’un milliard de dollars. À noter cependant, que seulement 3 d’entre elles peuvent être considérées « à impact » (Blablacar, Back Market et Vestiaire collective). Reste à savoir si le programme French Tech Green 20 aura les armes pour réussir à faire émerger les nouveaux champions de la transition écologique. 

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En octobre dernier, lors du Meet’up Greentech, Alliancy constatait déjà l’étendue de ce discours présentant la technologie comme une réponse à tous les défis. En plus de lutter contre le réchauffement climatique, la technologie serait la clé pour limiter elle-même son propre impact. Alors que le jour du dépassement de la Terre est déjà acté, il y a fort à parier que l’imaginaire de l’innovation ne soit malheureusement pas suffisant pour gérer l’urgence climatique. Par la force des choses, les questions de sobriété des usages et de réinvention de nos modèles de croissance s’inviteront dans le débat entre les entreprises, les politiques publiques et l’ensemble de la société.

Le numérique occupera quoiqu’il en soit une place prépondérante dans la planification écologique de ce quinquennat. En plus de l’urgence d’une prise de conscience des effets rebond du numérique, le gouvernement ne devra donc pas non plus perdre de vue les territoires et la consultation citoyenne pour mener son grand projet, sans inégalités énergétiques. Emmanuel Macron a d’ailleurs promis de faire évoluer son style de gouvernance. Lors de son investiture le 7 mai dernier, il affirmait que « l’action en ces temps est jumelle du rassemblement, de la considération, de l’association de tous ».