Vincent Behague (Adix) : « Pour les PME, l’IA est simplement un nouveau mécanisme d’innovation »

Vincent Behague, président du cabinet Adix, accompagne bénévolement le Medef des Hauts-de-France dans son ambition de faire vivre une Cité de l’IA dans la région. L’objectif : porter une vision opérationnelle de l’intelligence artificielle, notamment auprès de PME.

Alliancy. Depuis 2018, il a beaucoup été question de la dynamique autour de l’IA en France. Pourtant, face à la crise sanitaire et économique, on a l’impression que le thème n’est pas forcément associé à l’espoir de la « reprise ». Pourquoi ?

Vincent Behague du cabinet Adix.

Vincent Behague du cabinet Adix.

Vincent Behague. J’ai toujours suivi avec intérêt le sujet de la gestion de la data et les applications de l’intelligence artificielle depuis les années 90. Depuis trois ans, je suis particulièrement agacé par le « buzz » IA dans les discours : la plupart du temps, nous sommes très loin d’exemples de vraies intelligences artificielles. Je pense que les postures à suivre en termes de discours sont plutôt celles de personnes comme Yann Le Cun ou Luc Julia. Ils évoquent la tendance de fond qui est d’aller vers l’humain « augmenté », c’est-à-dire à l’intelligence augmentée, plutôt que de faire de l’IA une sorte de baguette magique pour répondre à chaque nouveau défi qui se présente. Il faut absolument garder cet ancrage opérationnel. Dans les Hauts-de-France, j’aide bénévolement le Medef depuis 2019 pour traduire des applications de l’IA dans le quotidien de PME par exemple. Cela veut dire amener des éléments de compréhension pour les dirigeants, mais aussi d’être résolument sur des sujets opérationnels. De cette façon l’IA peut effectivement être utile au tissu économique.

Comment est né ce projet ?

Vincent Behague. Le ministère du travail a fait un appel à candidature pour une étude qui permette de mesurer l’impact de l’IA sur le marché du travail. Le Medef Hauts-de-France s’en est emparé et en faisant cette étude, ils en sont venus à se demander comment ils pourraient mieux diffuser l’emploi de l’IA dans la région. Autrement dit : comment ne pas se limiter à constater des changements sur le marché du travail, mais essayer de peser pour que cela soit positif pour les entreprises. Cela a donné naissance à la Cité de l’IA et à son écosystème. Le Medef Haut de France s’est acculturé lui-même sur le sujet en regardant ce qui se faisait partout en France, que ce soit dans le secteur de l’assurance ou autour de l’industrie 4.0. Le constat a été clair : les grandes entreprises se bougent toutes, mais les PME pas du tout. Donc l’ambition a été de mettre en contact ces entreprises avec des acteurs locaux qui proposent des approches originales et surtout qui font du « concret » avec l’IA. L’idée est d’amorcer une mécanique et d’avoir de belles histoires qui essaimeront dans les deux prochaines années.

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Autour de quel genre de sujets ?

Vincent Behague. Aujourd’hui, nous accompagnons une quinzaine de PME, qui ont des activités variées. Il s’agit par exemple d’un cabinet RH, d’un courtier en assurance ou encore d’un acteur industriel… Leurs sujets sont donc eux-mêmes très différents : certains veulent améliorer leurs processus de recrutement, d’autres leurs opérations métiers, d’autres encore sont surtout intéressés par la meilleure prise en compte du réglementaire… C’est d’ailleurs un des points clés pour permettre à une PME de s’emparer de l’IA : notre objectif est de pouvoir identifier en moins de 15 jours les thèmes où l’IA peut faire la différence pour une entreprise en particulier. Il est important de souligner que pour un certain nombre d’applications, on trouve aujourd’hui les technologies disponibles « sur étagère ». Par exemple, sur la vérification des acquis, les résumés de cours, la gestion de questionnaires en texte libre pour aider les formations : ce sont des projets sur lesquels nous conseillons les dirigeants et sur lesquels ils peuvent utiliser des outils qui existent déjà.

Pour les PME françaises, il n’est pas tant question de se lancer dans la recherche en intelligence artificielle que de mieux accéder à l’offre existante ?

Vincent Behague. Développer de nouveaux algorithmes, c’est une démarche lourde, qui demande du temps et qui n’est clairement pas à la portée de tout le monde. Par contre, réutiliser ce qui existe, tout le monde peut le faire. En la matière, la difficulté réside moins dans l’IA en tant que telle, que dans la capacité à concevoir et à proposer une offre, un produit et un business model qui soit cohérent pour s’adresser aux PME. Le premier enjeu est donc de démystifier le sujet pour les dirigeants. Il faut sortir de l’idée qui veut qu’une IA, cela ressemble à HAL 9000 ! (en référence à 2001, l’Odyssée de l’Espace, ndlr)

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C’est un propos que vous entendez beaucoup au sein des PME ?

Vincent Behague. Parmi les patrons de PME qui participent à la Cité de l’IA, on entend encore des blocages : « Je ne comprends rien, je ne comprendrai pas ». L’IA serait un sujet trop compliqué. Mais en fait, c’est un faux problème. Ce n’est plus ni moins qu’un mécanisme d’innovation, qui comme tous les autres doit partir de cas d’usages.  Une entreprise qui a fait de la plasturgie toute sa vie, pense l’innovation sur le plastique avec les modèles et les outils qu’elle connait. Cela ne lui parait ni bizarre, ni compliqué. Il s’agit donc de penser l’innovation différemment.

Et pour y parvenir, inutile de devenir un expert absolu de l’IA :  il suffit de comprendre quelques points clés. Il faut surtout comprendre ce qui est possible de faire différemment. Un exemple que l’on donne beaucoup, c’est celui de la détection des pannes. Il est devenu possible aujourd’hui d’analyser le son que fait un moteur ou un réseau de tuyauterie et, à partir de là, de détecter un problème, comme une fuite, car le son émis est différent. L’IA est l’outil qui permet de traiter le signal observé, que ce soit ici le son ou dans d’autres cas, l’image. Ce principe de détection des signaux faibles, quand on l’a compris, amène rapidement des idées business accessibles à tous. Ce qu’il manque aux PME, c’est donc surtout de partager avec d’autres entreprises sur les bons cas d’usages. C’est le mot d’ordre : partagez, partagez, partagez ! C’est pour cela que profiter d’un réseau comme la Cité de l’IA est d’ailleurs essentiel.

Pour autant, l’IA est-elle un remède aux maux économiques des confinements et de la crise sanitaire ?

Vincent Behague. De manière générale, on a vu le positionnement des PME changer avec la Covid. Maintenant elles cherchent de la performance avant tout dans une nécessité de rebond économique, plutôt qu’à créer une nouvelle offre innovante. Mais les deux sont possibles en parallèle : elles peuvent aller chercher des économies notables sur des opérations où il n’y aurait pas autrement de valeur ajoutée. Ce que je déteste entendre par contre c’est qu’une entreprise parle de sa « stratégie IA » ! La technologie cela ne peut pas être la stratégie d’une boite. L’IA n’est pas un chantier à part entière pour une PME, c’est juste une technique pour aller chercher des bénéfices selon la situation et ses besoins… L’essentiel, c’est donc de savoir ce que l’on cherche.

Pour les entreprises qui ont de gros problèmes économiques face à la crise, le problème n’est souvent pas l’absence d’IA dans l’équation : leurs enjeux sont ailleurs. Ce n’est pas l’IA qui permettra à court terme d’aider une entreprise comme Camaïeu, mais le fait de repenser la marque, les réseaux de distribution, le rapport aux clients… Les entreprises dans la tourmente doivent surtout remettre leur stratégie d’aplomb, pas réfléchir à une technologie. Il est dangereux de penser que l’IA va sauver les entreprises de la crise ! Si on ne met pas fin à de telles promesses, un nouvel hiver de l’IA est tout à fait possible, car les déceptions vont être énormes. Et les PME passeront à côté des vraies opportunités sur le sujet.