Des robots bêtes et disciplinés

Le buzz autour de l’intelligence artificielle conduit à surestimer considérablement les capacités des robots. Pendant ce temps, les robots industriels se trouvent une astuce pour augmenter leur capacité :  collaborer davantage et mieux avec l’homme.

| Cet article fait partie du dossier « Industrie : Des robots, mais pas seulement »

Robots

Pyrène, le nouveau robot humanoïde du Laas. D’ici à quelques années, celui-ci sera capable de monter des marches d’escalier, le tout en portant de lourdes charges, et même se servir d’outils

Jamais le danger majeur de la robotique – celui de confondre réalité et fiction – n’a été aussi aigu. Que ne lit-on pas à propos de robots autonomes, hyperintelligents, prêts à prendre la place de l’homme dans toutes ses tâches, même les plus complexes, à vider les usines de leurs derniers travailleurs, voire à menacer l’espèce humaine…

Alors, disons-le tout de suite : si l’on entend par robot une machine mécanique programmable, tout cela n’est qu’un immense malentendu. Ainsi, les robots industriels, sur lesquels se focalise cet article, sont de parfaits crétins, bêtes et disciplinés – ce qui est leur grand atout –, et ils le resteront encore très longtemps. L’invasion des robots omniscients dans l’industrie n’est pas pour demain. Calmons-nous. Il faut toutefois apporter deux précisions. Primo : l’assertion « des robots autonomes, hyperintelligents vont prendre la place de l’homme » est peut être exacte à la condition expresse d’entendre par « robot » un logiciel intelligent – nourri, par exemple, de deep learning –, comme on le fait maintenant. D’où le profond malentendu. Secundo : il est vrai que ces machines grâce aux baisses de prix des capteurs de tout acabit (notamment pour la vision) et la puissance des processeurs gagnent en performances, en capacités et voient leur prix baisser, ce qui élargit significativement leur marché et leurs applications.

Alliancy 17 Intelligence artificielle Toutefois, il n’y a pas de rupture technologique telle qui expliquerait que, d’un coup, le marché explose et
que les robots évolués se mettent à pulluler dans les usines. Laissez tomber la taxe. D’autant qu’aujourd’hui
l’État s’efforce plutôt de remédier au sous-équipement français à coups d’aides diverses. Enfin, il ne faut pas confondre « automatisation » et « robotisation ». Il n’est qu’à visiter quelques usines pour se rendre
compte que, à l’exception de certains secteurs comme l’automobile, une automatisation extrêmement poussée (et destructrice d’emploi) peut s’effectuer sans aucun robot. À moins de nommer « robot » n’importe quel automatisme…

Les cobots, simples à programmer

Cela dit, que se passe-t-il vraiment en matière de robotique industrielle ? La recherche travaille certes sur des robots plus intelligents, voire humanoïdes – ce qui excite l’imagination – mais dans les faits, sur le terrain, c’est une tout autre révolution qui se déroule : celle des cobots, cobot pour « robot collaboratif ». Le cobot, c’est l’antithèse du golem hyperintelligent et menaçant. C’est un robot industriel très simple, très peu intelligent, très peu cher – de l’ordre de 30 000 euros, voire moins – et… peu performant, tant en termes de vitesse et de précision que de masses soulevées (en général entre 5 et 10 kg). Ils sont déjà plus d’une quinzaine de constructeurs à en proposer, et l’offre s’enrichit quasiment chaque jour avec, après les start-up tel qu’Universal Robot ou Rethink Robotics, l’arrivée sur ce segment de marché des constructeurs traditionnels tels que Kuka ou ABB, initialement réticents à proposer ce type de produit peu sophistiqué et à faibles marges.

Pourquoi donc s’enticher d’une machine aussi fruste ? Parce qu’elle peut travailler en très bonne intelligence avec l’homme, ce qui change tout. Il faut, en effet, se rappeler qu’un robot industriel est dangereux : lourd et déplaçant son bras à haute vitesse, il peut blesser, voire tuer. Pour cette raison, tous les robots industriels sont, à ce jour, enfermés dans des cages pour protéger les travailleurs de leurs gesticulations. Seconde caractéristique de ces robots classiques et très performants, ils sont complexes à programmer ce qui limite leur utilisation, en particulier par les PME. Avec le cobot, tout change : léger, peu rapide, il peut s’affranchir de sa cage et travailler en toute liberté à proximité immédiate des travailleurs sans danger pour eux. Simple à programmer, il s’installe facilement et change d’affectation rapidement. Ces deux caractéristiques lui ouvrent un tout nouveau et vaste champ d’application dans tous les domaines, et en particulier dans les PME : assemblage, mise en caisse, chargement déchargement de machines, manutention légère, etc.

45 000 robots magasiniers chez Amazon !

45 000 robots magasiniers chez Amazon ! En 2016, il y avait 30 000 robots dans les 20 centres de distributions d’Amazon. 45 000 cette année. Une preuve du fulgurant développement de la robotique ? Oui et non. Non, parce que ces « robots » sont extrêmement élémentaires et leur tâche limitée. Ce sont, en effet, des petits chariots de la forme des aspirateurs Roomba. Ils se glissent sous des rayonnages, les soulèvent et les déplacent, en suivant des marques au sol, vers des opérateurs qui traitent leur contenu. En revanche, ces machines conçues par Amazon Robotics (suite au rachat du fabricant Kiva Systems, qui ne produit désormais plus que pour sa maison mère) témoignent, malgré tout, de l’essor de la robotique dans les entrepôts, un domaine d’application très prometteur. Elle se limite pour l’instant à des applications de manutention du type de celle d’Amazon, mais l’évolution technologique, via la reconnaissance de formes en particulier, permet d’ores et déjà d’envisager la possibilité de robots « magasiniers » capable de récupérer des objets précis dans un entrepôt.

 

Schémas collaboratifs, assistance au geste

Que des robots et des humains, chacun effectuant son travail indépendamment, partagent le même espace constitue une évolution très significative, et qui commence tout juste à être mise en pratique dans les usines. Il y a mieux. L’objectif est de faire collaborer vraiment l’homme et le robot en leur faisant partager une tâche. C’est une idée géniale ! À quoi bon s’escrimer à rendre un robot « intelligent » pour remplacer l’homme ? Créez donc un couple homme-robot en laissant chacun faire ce qu’il fait le mieux. À l’homme, l’intelligence et l’adaptabilité ; au robot, la capacité d’effectuer inlassablement et de façon parfaitement stupide, les mêmes gestes sans jamais dévier de la consigne. C’est un couple gagnant. Yvan Measson, fondateur de la start-up Isybot, indique ainsi : « Le robot peut, par exemple, présenter une pièce à un opérateur qui effectuera un contrôle de perçage ou une autre opération. On a pu montrer que dans une telle organisation, la productivité peut être multipliée par un facteur quatre. » C’est un début. Mille autres schémas de collaboration peuvent ainsi être inventés. C’est précisément le but d’Isybot, qui a mis au point ses propres cobots, et entend bien fournir l’accompagnement méthodologique pour mettre en place ce type de schéma réellement collaboratif. Ici, presque tout est encore à inventer. Il y a une autre façon, plus classique, de faire collaborer l’homme et le robot : l’« assistance au geste ». Elle s’appuie non pas sur des robots au sens traditionnel, mais sur des manipulateurs évolués qui procurent à l’homme une réelle assistance à l’effort. Cette fois, ce que le spécialiste français RB3D nomme un peu abusivement « cobot » (ce n’est pas vraiment un robot), apporte ses « muscles », l’homme son intelligence et son savoir-faire. Exemples, déjà en oeuvre dans l’industrie : le parachèvement de pièces en fonderie ou le rechapage de pneus. L’ouvrier exerce une force minime en déplaçant le manipulateur qui décuple son effort de façon à ce qu’il effectue sans peine le travail demandé. robot remplace l'homme

L’étape ultime de ces costauds cobots est le fameux exosquelette, orthèse mécatronique qui transforme l’homme en une sorte d’Iron Man aux capacités physiques décuplées. Depuis quelque temps déjà, le même RB3D a développé son exosquelette, judicieusement appelé Hercule. Il permet de soulever une charge de 40 kg en ne fournissant que l’effort équivalent à une charge de 4 kg. Grande nouvelle, Hercule après de nombreux CDD sous forme d’applications pilote vient de décrocher son premier CDI dans l’industrie. Après l’avoir qualifié en 2016, l’entreprise de travaux publics Colas s’est équipée d’un premier exosquelette et doit se doter d’une cinquantaine de machines. Application, le « tirage au râteau », autrement dit l’étalement du bitume sur la chaussée, travail qui nécessite un très gros effort de la part de l’ouvrier. Point P, de son côté, devrait également s’équiper d’exosquelettes de RB3D pour la manutention de charges lourdes qui ne peuvent être déplacées à l’aide d’un chariot élévateur. Aujourd’hui la recherche, comme c’est le cas au CEA List, s’intéresse de près aux cobots et de façon très pragmatique. Il s’agit avant tout d’améliorer à la fois leurs performances et leur sécurité : « Le but est, notamment en les dotant de davantage de capteurs, d’arriver à augmenter leur vitesse de travail sans que leur dangerosité ne croisse. Cette augmentation de vitesse est indispensable car il ne faut pas qu’une machine pénalise le travail de l’ouvrier à cause de sa lenteur, sinon elle ne sera jamais acceptée », explique Yann Perrot, responsable de la robotique au CEA List. Côté exosquelette, l’enjeu est du même acabit. Il s’agit cette fois encore de rendre l’outil plus acceptable par l’utilisateur, cette fois en visant une réduction de sa masse. Autre piste pour les cobots : la mobilité. Le but de ces robots montés sur des chariots est de travailler sur des pièces de grandes dimensions grâce à leur faculté de déplacement. Airbus a déjà testé de telles machines.

Les robots humanoïdes

 

L’exosquelette Hercule de RB3D, permet de soulever 40 kg en ne fournissant qu’un effort de 4 kg.

L’exosquelette Hercule de RB3D, permet de soulever
40 kg en ne fournissant qu’un effort de 4 kg.

À l’autre extrême de la recherche, le travail sur les robots humanoïdes mené depuis plus de dix ans par le Laas- CNRS de Toulouse. Ce n’est pas par goût pour la sciencefiction que les chercheurs travaillent sur les robots à forme humaine. L’intérêt du robot humanoïde tient à sa polyvalence. « Une machine automatique – pensez à une machine à laver – est le degré zéro de la polyvalence : elle n’effectue qu’une tâche et une seule. Les robots industriels, eux, ont une vaste palette d’activités à leur portée, mais le robot humanoïde est sans conteste celui dont l’architecture permet d’envisager la plus grande variété d’applications différentes, quasiment toutes celles que peut effectuer un humain », confie Philippe Souères, responsable de l’équipe Gepetto, unité dédiée à ces recherches au Laas. Sans compter que, vu la complexité du sujet, ce type de machine constitue un thème de recherche extrêmement fécond.

Côté application, le Laas travaille en lien avec Airbus sur des preuves de concept. L’idée est de confier au robot, diverses tâches au sein d’un atelier, comme l’aide au transport de charges de grandes dimensions, le robot partageant le travail avec un humain. Cela dit, il y a loin de la coupe aux lèvres. « Faire intervenir un tel robot sur les chaînes n’est pas envisageable avant 10 ou 15 ans », précise Philippe Souères. Dans un horizon plus proche, l’équipe vise un objectif plus limité. « Quand le robot parviendra à monter un escalier, effectuer une action comme visser ou percer et redescendre, le tout sans intervention humaine, nous aurons déjà fait un grand pas. Ce serait une première mondiale ! » Voilà qui en dit long sur l’état de l’art. Car, contrairement à ce que laissent supposer quelques mises en scène spectaculaires, l’humanoïde est encore loin de faire des étincelles. Il est plus proche du nourrisson que du génie : il a tout juste commencé à se doter de propriétés proprioceptives de base (la connaissance de son « corps » et de son état interne) et a appris à marcher de façon satisfaisante sur un sol plat. Et, en l’occurrence, ce ne sont pas les progrès du deep learning qui changeront la donne. « Au cours de nos recherches, nous avons pris conscience qu’un robot humanoïde intelligent n’est pas une machine dotée d’un puissant cerveau. En réalité chez l’humain, l’intelligence est répartie dans tout le corps et notre défi est d’intégrer cette intelligence à tous les niveaux du robot », révèle Philippe Souères, qui constate qu’aujourd’hui « on surestime considérablement le potentiel des robots aussi bien à court qu’à moyen terme ». Quant au long terme, allez savoir… l

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>> Cet article est extrait du magazine Alliancy n°17  » Où en est l’IA dans l’entreprise ?  » à commander sur le site.