[Recrutement] Bien rédiger ses offres d’emploi dans la Tech

En pleine « guerre des talents », publier une annonce, quand on vise des profils déjà chassés plusieurs fois par semaine, est-ce vraiment utile ? Spoiler : ce n’est pas utile, cela reste incontournable ! L’offre d’emploi est devenue un levier de marque-employeur et relève d’une stratégie globale d’attractivité, dans laquelle la cooptation joue un rôle croissant.

« Je suis une daurade, je vis sous l’eau ». C’est la fonction officielle qu’a affichée sur sa page LinkedIn un développeur iOS, avec une tête de poisson posée sur une rondelle de citron. Le jeune homme était curieux de savoir s’il continuerait à recevoir des propositions d’embauche, même avec un profil aussi absurde… La réponse est OUI !

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Malgré un tel descriptif de poste, les trois mots magiques « IOS, Tech et lead » ont suffi… « J’ai regardé votre profil et je suis très impressionné par votre expérience », lui indique un recruteur avant de lui proposer dans le même message un poste à Londres, salaire et stock-options à l’appui*.

Les ravages de l’automatisation dans les RH ? Pas seulement ! La guerre des talents s’intensifie dans la Tech, en France comme ailleurs. Les ESN et éditeurs de logiciels ne sont pas seuls à recruter. L’ensemble des entreprises françaises, de la PME aux grands comptes du CAC 40, ont compris l’intérêt d’internaliser certaines compétences liées au numérique. Sans parler des start-up et leurs flamboyantes levées de fonds, brandies comme autant d’arguments attractifs.

Cybersécurité, Cloud, Data & Marketing

Indeed confirme que « le métier de développeur reste l’intitulé de poste le plus fréquent pour les offres du numérique, avec quatre places dans le top 5. » Très demandés également : les spécialistes du Cloud, les ingénieurs en cyber-sécurité, systèmes et réseaux ou encore les Data Scientists. « Les 20 premiers intitulés de poste représentent à eux-seuls près de 60 % du total des postes à pourvoir », souligne l’étude**.

Les DSI ne sont pas seules à recruter, les directions Marketing leur ont emboîté le pas. Dans un rapport publié en juin dernier, le cabinet spécialisé Robert Half mentionne l’e-commerce et le marketing digital parmi les priorités de recrutement au second semestre 2021***. Il rappelle aussi que l’erreur de casting coûte cher : un mauvais candidat, ce sont au minimum quatre mois de perdus, soit 10 semaines pour mettre fin au contrat et 6 autres pour pourvoir à nouveau le poste.

A l’Apec, on indique que les recrutements de cadres reprennent après la crise de 2020. La Bretagne en particulier affiche des besoins très élevés : « Nous sommes la seule région qui n’accuse presque pas de différence entre 2019 et 2020 (- 0,5 %), confirme Marion Dubus, consultante en relations entreprises à l’Apec de Rennes. Ce redémarrage se fait chez nous clairement grâce aux métiers de l’informatique (+ 26 % de prévisions d’embauche) et de la R&D. » Pour autant, même dans une région aussi attractive la pénurie de candidats se ressent. « 80 % de nos entreprises dans l’informatique rencontrent des difficultés à recruter, que ce soit des ingénieurs Full Stack, Cybersécurité ou Telecom… contre 46 % pour les autres entreprises tous secteurs confondus. Pour se différencier, l’entreprise doit donc bâtir une stratégie de communication. Elle ne peut plus s’en tenir au Post & Pray. »

Un chiffre encore, au niveau mondial cette fois : « Les offres d’emploi en technologie ont augmenté de près de 30 % en 2021, indique Halvern Logan, président du cabinet de recrutement franco-américain HBL Search. Les meilleurs candidats restent 10 à 12 jours maximum sur le marché. Les entreprises qui mettent six semaines, voire six mois à recruter, ce n’est pas possible ! Nous sommes sur un Candidate-Market : le candidat a tous les pouvoirs, avec deux ou trois offres simultanément. » Alors, par quoi commence-t-on ? Tous les recruteurs sont unanimes : on ne peut pas se dispenser de publier une offre d’emploi. Mais, en sachant à quoi s’en tenir : ce n’est pas elle qui fera office d’hameçon.

L’offre d’emploi, un passage obligé

Géraldine Carbonne Caillens est Head of Talent Acquisition chez Octo, l’une des pionnières des méthodes agiles en France, qui a décroché cette année coup sur coup les labels « Great Place To Work » et B-Corp. Selon elle, l’offre d’emploi reste inévitable : « Quand je suis arrivée chez Octo, on avait supprimé les offres, pendant deux ou trois ans. Etant donné que nous recrutons toute l’année, nous proposions simplement de nous contacter pour un café. Mais, finalement, si les candidats ne savent pas à quel poste ils peuvent prétendre, ils n’osent pas se lancer », explique-t-elle.

« Aujourd’hui, l’offre d’emploi ne représente qu’un tiers de nos recrutements sur les profils Tech, poursuit l’experte, et encore surtout pour des postes juniors. Les profils les plus expérimentés, il faut les chasser… Ils ne croient que ce qu’ils voient, comme Saint-Thomas ! Alors, ce qui compte, c’est d’avoir construit une marque employeur solide, bien avant le moment où l’on publie l’annonce. »

L’offre d’emploi devient un outil de communication, confirme Eric Gras, senior evangelist spécialiste du marché de l’emploi chez Indeed : « Contrairement à la mode des recrutements sur TikTok ou autres, l’offre d’emploi reste un levier de recrutement efficace. Même quand on fait de la chasse, le premier réflexe d’un candidat sera de regarder l’offre. Nous avons recensé, durant la période Covid, une augmentation nette de leur consultation. »

Le consultant souligne aussi l’importance de raisonner Mobile First : « Aujourd’hui, 70 % de notre trafic est mobile. Et les candidats postulent directement sur leur smartphone – il faut prendre en compte cette expérience. Si vous leur demandez d’aller créer un compte sur le site Carrières de votre entreprise… autant dire que vous pouvez tous les oublier. »

Cinq conseils avant de passer derrière le clavier

Reste à savoir quelles informations doivent absolument figurer dans l’annonce et lesquelles méritent de rejoindre la corbeille… Quentin de Beaufort, Senior Manager IT & Digital chez Robert Half, rappelle combien la mention du salaire est importante : « C’est clef. On peut très bien trouver le même job pour un salaire qui va du simple au triple. Ne faites pas perdre de temps aux candidats : indiquez au minimum une fourchette de salaire. Les recruteurs anglo-saxons n’hésitent pas à afficher le salaire directement dans l’intitulé de poste. Si vous proposez un salaire très attractif, mettez-le en titre ! Même chose pour le Full Remote. »

Eric Gras chez Indeed renchérit : « La même offre, avec ou sans la mention du salaire, ce sont 80 % des candidats qui ne cliquent pas. » Autant jouer franc-jeu, d’autant que les candidats vont aller chercher l’information ailleurs, sur des sites comme Glassdoor notamment. Et de rappeler un principe de base trop souvent oublié : « Le recrutement impose de s’intéresser à l’autre. Connaître son candidat, savoir qui il est et ce qui le motive. Ce qui fera la différence, ce n’est pas la liste des compétences que vous aurez publiée. »

Autres bonnes pratiques, il faut être explicite sur la localisation du poste, ainsi que sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Exprimez-vous, en particulier, sur le télétravail : si votre offre ne le mentionne pas, le candidat va penser que vous ne le pratiquez pas ! Or, et tous les professionnels interrogés l’affirment, une entreprise qui refuse le mode hybride peut dire adieu aux meilleurs profils Tech. Et, pourtant, on n’y est pas encore*****.

Enfin, dernier point pour bien rédiger votre offre d’emploi, évoquez les valeurs de l’entreprise : le fameux sens du travail. « Si vous mettez 10 Devs dans la même pièce, la première chose qu’ils vont évoquer, c’est la fierté qu’ils trouvent à leur poste, reprend Eric Gras. Abordez le sujet en premier : avant même d’évoquer les conditions de travail et bien avant le paragraphe de présentation de votre entreprise, que l’on continue de trouver en ouverture de la plupart des offres d’emploi… »

Une stratégie globale

En parallèle, il est essentiel que les collaborateurs s’expriment autour d’eux, estime Charlotte Abdelnour, Senior Marketing & Communications Manager chez Octo. « Nous accordons beaucoup d’importance aux Talks, à la parution d’ouvrages, à l’événementiel, pour montrer qui nous sommes et ce que nous produisons. Lorsqu’un de nos Octos est invité à s’exprimer ici ou là, c’est mieux que n’importe quelle carte de visite pour valoriser notre matière grise. »

Dans le même esprit, l’ESN Isatech (30 embauches en 2021) met en avant sa politique de formation et de certification. « La concurrence est très rude, explique Mathilde Rozelier, la chargée de recrutement. Avec des dommages collatéraux : les rémunérations qui ne cessent d’augmenter sont de plus en plus difficiles à suivre. Alors, nous attirons l’attention de nos candidats sur ce qui fait notre force : une stratégie de certification soutenue. Pour un public technophile, ce n’est pas un simple bonus, c’est au contraire essentiel. Ils ont besoin de maintenir leurs compétences et leur employabilité. Nous les y aidons. »

L’explosion des plateformes

Bien sûr, pour recruter, il y a les géants américains comme LinkedIn qui a « raflé la mise » en tant que réseau social professionnel, ainsi que le moteur de recherche Indeed et son petit frère Glassdoor, ou encore le site de valorisation de la marque-employeur Welcome to The Jungle, qui s’est imposé dans le paysage au point de tenir aujourd’hui une position ambivalente : il aide les entreprises à se différencier en leur proposant d’entrer dans un moule (le sien).

En parallèle, la demande est telle que l’on voit naître quasiment toutes les semaines une nouvelle plateforme spécialisée, comme LeHibou à Nantes, site qui met en relation les entreprises et les informaticiens free-lance. Ces plateformes jouent un rôle central dans la mise en relation et font émerger des tendances de fond, à commencer par le phénomène de consultation d’avis, tiré par Glassdoor. Autre initiative encore, « My Job Glasses » qui jette des passerelles entre les étudiants et les entreprises et répond au besoin d’aller chercher (plus haut dans la chaîne de recrutement) des profils prometteurs. « Mais la limite des plateformes reste toujours la même : les Soft Skills ne ressortent pas beaucoup, souligne Quentin de Beaufort chez Robert Half. C’est pour cette raison qu’elles ne restent, à mes yeux, qu’une porte d’entrée. »

Leur force cependant reste l’utilisation qu’elles font de l’intelligence artificielle (IA), technologie au cœur de l’outil, ne serait-ce qu’avec les fonctions d’alerte lorsque des candidats postulent – ou même cliquent – sur une offre d’emploi, comme le souligne Halvern Logan de HBL Search. Dans l’entreprise, elle s’avère précieuse pour le « tri » des CV, un premier filtre extrêmement chronophage. Une IA, certes, peut hériter des biais de ceux qui la programment, mais elle permet aussi de les mettre en lumière, comme le fait de privilégier certaines écoles dans les recrutements, précise l’expert. Surtout, elle permet de brasser infiniment plus de de données qu’un humain ne pourra y prétendre. Indeed vient de lancer en France le « Hub Recrutement », importé des Etats-Unis : une solution qui automatise la sélection de candidats et la planification d’entretiens. La formule abandonne complètement le CV et privilégie des entretiens en visio en fonction d’une poignée de critères-clefs.

Les recruteurs sont tous unanimes : on ne peut pas se dispenser de publier une offre d’emploi. Mais en sachant à quoi s’en tenir : ce n’est pas elle qui fera office d’hameçon. Cliquez pour tweeter

Marion Dubus de l’Apec cite d’autres initiatives intéressantes : « Ausy par exemple a utilisé le chatbot Randy pour le pré-recrutement de ses développeurs. Randy a ainsi engagé plus de 90 000 conversations et évalué près de 10 000 candidatures, autrement dit aucun humain n’aurait pu le faire… L’outil Cerebra, de son côté, permet à une entreprise de se rendre compte, par exemple, que pour recruter un bon directeur d’agence bancaire, il vaut mieux aller chercher des candidats issus de la grande distribution. C’est un enjeu d’évaluation des potentiels. Enfin, le verrier Saint-Gobain s’est appuyé sur l’IA pour communiquer sur les sites e-commerce majoritairement fréquentés par sa cible. Ils ont multiplié par trois le nombre de candidatures reçues. » Une chose toutefois que l’IA ne réussit pas (encore !) à proposer : l’intelligence émotionnelle ! « Cela se joue en face-à-face. 70 % de la communication est non-verbale », rappelle, dans un sourire, Halvern Logan.

Pour démarrer cet article, nous avons raconté une anecdote tirée du compte Twitter « Disruptive Humans of LinkedIn », qui épingle l’organisation du travail dans la Tech. Nous le fermons avec ces mots d’Emmanuel Bricard, DSI chez ELM Leblanc (Bosch Group) : « Les postes les plus recherchés aujourd’hui ne seront plus les mêmes demain. Les considérations techniques s’effaceront dans de nombreux cas (Serverless, NoCode…) et permettront de se focaliser plus simplement sur les apports-métiers d’une solution, sa valeur pour ses utilisateurs et clients. Autrement dit, on aura probablement davantage besoin de designers de solutions que d’experts techniques, là où encore beaucoup de choses se codent et se maintiennent aujourd’hui à la main. Même l’IA et le Big Data deviennent des commodités, et ce n’est que le début. Il nous faudra trouver des experts de la culture numérique, capables de comprendre et d’exploiter les vagues technologiques qui déferlent constamment. »

L’avis de Chloé Guillot-Soulez,

Maître de Conférences HDR en Sciences de Gestion et responsable du Master 2 Ressources Humaines & Organisation (IAE de Lyon)

Chloé Guillaud-Soulez « Il faut travailler la marque-employeur à l’échelle du territoire »

« Une marque-employeur solide se construit forcément dans la durée et il n’y a pas de miracle : elle sera le reflet de vos pratiques réelles, une fois passée l’embauche. Qu’avez-vous de bon à proposer ? De plus que les autres ? Faites le point sur votre proposition de valeur et ne jouez pas les sirènes. La cooptation, levier majeur de recrutement, ne deviendra une réalité que si vos collaborateurs sont satisfaits. Lorsqu’ils quittent l’entreprise, interrogez-les pour en comprendre le motif.

Il peut être utile également de valoriser les labels Employeurs et les classements de type « Choose my Company » ou « Great Place To Work »… Là encore, en évitant l’écueil de ce que l’on pourrait appeler le Great Washing ! Enfin, les entreprises ne peuvent plus se dispenser de développer leurs relations avec les grandes écoles (en tenant des conférences, en sponsorisant des promotions…) ni, plus largement, avec l’ensemble de leur écosystème. On a vu combien la Technopole de Sophia-Antipolis a su jouer cette carte pour capter des talents partout dans le monde, en offrant un cadre de vie global pour les candidats, mais aussi leur famille. »

 

(*) Source : https://twitter.com/j4n0/status/1125380024733925377, via le compte Disruptive Humans of Linkedin

(**) Etude Indeed : https://www.hiringlab.org/fr/blog/2021/06/10/le-numerique-apres-la-crise/

Indeed est le premier moteur de recherche d’emploi au monde. Plus de 250 millions de personnes effectuent une recherche d’emploi, publient leur CV et recherchent une entreprise via Indeed chaque mois. Indeed est disponible dans plus de 60 pays, dans 28 langues et représente la première source de candidats pour des milliers d’entreprises. Pour en savoir plus, rendez-vous sur indeed.com.

(***) https://www.roberthalf.fr/publications/tendances-recrutement

(****) https://corporate.apec.fr/home/nos-etudes/toutes-nos-etudes/previsions-apec-2021.html

(*****) https://www.bfmtv.com/economie/emploi/methodes-de-recrutement-vers-un-retour-a-la-normalite_AV-202107060227.html